La foi a-t-elle sa place dans le monde de la médecine ?
C’est un sujet qui me tient à cœur depuis mes études médicales.
Le monde médical est vaste et varié. Je ne pourrais être exhaustif : à la question posée ma réponse sera personnelle, à partir de ma propre expérience, celle d’un médecin en cabinet libéral en ville pendant 25 ans et aussi, bien sûr, celle que j’ai vécue à Lourdes 11 ans durant, comme médecin du Bureau des Constatations Médicales.
Mais je voudrais d’abord vous interpeller, vous patients, car la médecine n’existe en quelque sorte que par votre demande. Ce serait d’abord à vous, patients chrétiens, de nous dire, à nous médecins chrétiens, si la foi doit avoir sa place dans le monde médical ; déjà si elle a droit de cité et, plus encore, si elle a besoin de l’être. Car, a priori, quand vous allez consulter un médecin, finalement, est-ce qu’il vous importe qu’il ait la foi ou non ? Ce qui vous intéresse, n’est-ce pas, c’est qu’il soit un bon professionnel, qualifié, reconnu par ses pairs, le plus compétent possible, capable de répondre à la demande précise pour laquelle vous venez le consulter, qu’il pose le bon diagnostic, qu’il ordonne le bon traitement ou qu’il l’exerce lui-même à bon escient s’il intervient directement. Et je dirai : vous avez entièrement raison. Ce que vous voulez avant tout, c’est une totale confiance en votre médecin. Vous connaissez la fameuse formule : «  la relation médicale est la rencontre d’une confiance et d’une conscience ».  Tout médecin doit répondre à cette exigence, c’est son premier devoir, qu’il soit chrétien ou non, encore plus s’il est chrétien, nous sommes bien d’accord.
Dès lors, je vous pose la question : pour vous chrétiens, un médecin qui a la foi vous apporte-t-il quelque chose de plus ? Mais, question préalable : en avez-vous l’expérience, en avez-vous déjà rencontré ? N’est-ce pas une espèce en voie d’extinction ? Beaucoup de choses y contribuent. Est-ce encore possible avec le système de santé actuel, la complexification de la médecine et la laïcisation que l’on connait aujourd’hui ? Et pour commencer : la profession médicale est-elle encore une vocation ? On peut vraiment se le demander quand on se souvient des médecins de campagne d’autrefois (qu’on a pu connaître personnellement ou à travers la littérature) alors que les jeunes médecins frais émoulus de la faculté désertent aujourd’hui massivement ce genre d’exercice ! Quid des études médicales ? N’a-t-on pas privilégié la technicité à l’humanisme ?
A partir de toutes ces questions et sans plus attendre, je soutiens d’emblée qu’au-delà du fait que la médecine est en rapport direct avec l’être humain et la vie, ce qui la situe à un niveau particulier, je suis intimement convaincu que, oui, la foi a fondamentalement sa place, et une place primordiale dans le monde de la santé. Ce sera mon premier point. Mais, dans une deuxième partie, nous verrons que dans cette société sécularisée qui est la notre, post-chrétienne et post-moderne, le monde de la médecine ne se réfère plus à la foi, amenant à des dérives opposées à la simple loi naturelle. Il nous faudra donc envisager, dans une troisième partie, la manière dont on pourrait remettre la foi au cœur de la médecine, tant au niveau des personnes que des structures.
I – La foi a fondamentalement une relation privilégiée avec le monde de la médecine
La médecine est une profession originale. Le « monde de la médecine », à la différence du monde de l’entreprise ou du monde de la politique (par exemple) est en rapport direct avec des réalités qui nous dépassent : avec la vie (et la mort) ; avec l’homme souffrant, au singulier, donc à la personne en tant que telle, composée d’un corps, certes, d’une âme qui lui donne vie, et, pour nous chrétiens, d’un esprit immortel qui la fait être à l’image de Dieu. Il n’est donc pas étonnant que la médecine soit en relation obligée avec la philosophie et la métaphysique. C’est ce qui fait sa spécificité.
1°) Dieu guérit :
C’est un premier point qu’on a tendance à oublier…
Dieu guérit par les sacrements : réconciliation, Eucharistie, onction des malades.
Dieu guérit par les frères : c’est l’expérience du Renouveau charismatique.
Dieu peut aussi agir directement, souverainement, par des miracles de guérison : c’est ce qui se passe à Lourdes de façon privilégiée et pérenne. Ces guérisons sont le modèle de la guérison, signes, icônes, de la guérison parfaite.
Enfin, Dieu guérit à travers par les médiations humaines, par la médecine et les médecins : c’est son action la plus normale, la plus commune. L’Eglise a toujours encouragé la recherche médicale. Toute vraie guérison est un retour à plus de vie, à cette vie que Dieu est toujours prêt à nous donner.
2°) L’Eglise soignante :
Médecine et religion ont toujours été liées, aussi bien dans toute l’Antiquité que durant les vingt derniers siècles du christianisme. Depuis l’ère chrétienne, c’est au nom de la foi que les malades ont commencé à être soignés.
En effet, Jésus-Christ, le Fils de Dieu, s’est présenté comme le « divin médecin » : il a passé sa vie publique à guérir les malades, s’identifiant au  « bon samaritain », celui qui prend soin.
Dès lors, à son exemple, l’Eglise du Christ, depuis ses origines et encore aujourd’hui, a exercé toutes sortes d’œuvres de miséricorde dans le soin aux malades. Elle a été à l’origine des hospices, des hôtels-Dieu, des hôpitaux. Combien de missionnaires, de religieux, de religieuses se sont sacrifiées au service des souffrants, des exclus, des sans-abris ? Pensons à un saint Damien, à saint Camille de Lélis, saint Jean de Dieu, saint Vincent de Paul, une bienheureuse Mère Teresa, à tant d’autres. L’Eglise a toujours été la première à s’occuper des malades, des lépreux, des handicapés, des sidéens, des exclus, de tous les « blessés de la vie ». Et elle continue sur tous les continents pauvres. Ainsi, par exemple, en matière de lutte et de soins contre le sida, c’est l’Eglise catholique qui prend en charge 28% de l’activité mondiale.
Le lien entre médecine et foi semble avoir disparu dans notre société laïque, mais il n’en reste pas moins que ses racines sont chrétiennes (qu’on le reconnaisse ou non…) et que, quoique l’on dise ou quoi que l’on fasse, foi et médecine, par essence, ne peuvent pas être séparés.
S’il est un lieu emblématique de cette connivence, c’est bien Lourdes, havre de paix profonde pour tant et tant de malades ! Ce n’est pas pour rien que le bienheureux Jean-Paul II a institué la Journée Mondiale du Malade à Lourdes, le 11 février, voici 20 ans ! Je suis personnellement persuadé que si la Vierge Marie, la Mère de Dieu, a voulu que ce lieu soit un lieu catholique visible de guérison, c’est pour continuer à attester au monde que la foi a toujours quelque chose à voir avec le monde de la médecine, même en ce siècle où tout est fait pour le rompre.
3°) Les médecins catholiques dans le monde :
A la suite de l’Eglise, de nombreux médecins se sont attachés au soin des malades avec ferveur et désintéressement. Dans l’histoire du christianisme, plus de 50 médecins ont été béatifiés ou canonisés. Les plus connus : Luc, patron des médecins, Côme et Damien, les médecins anargyres, saint Martin de Porrès, le bienheureux Nicolas Stenon, saint Joseph Moscati, sainte Jeanne Beretta-Molla, etc. Il y a aussi ceux qui le seront un jour. Je pense particulièrement à un Jérôme Lejeune ou encore à ce médecin japonais de Nagasaki que j’aime beaucoup : Takashi Nagaï.
Vous connaissez tous, j’en suis sûr, de belles figures de médecins croyants qui vous ont soigné personnellement avec compétence, attention et dévouement. Les médecins catholiques sont encore très nombreux de par le monde. A Lourdes, j’ai eu la joie de les voir passer régulièrement, en moyenne 2500/an, dont 500 à 600 français. Le Bulletin de l’AMIL est envoyé trimestriellement à plus de 15000 soignants dans 75 pays du monde. Il faut savoir que les médecins et personnels médicaux qui accompagnent des malades à Lourdes le font entièrement bénévolement en payant leur voyage et leur logement, dans un grand élan de générosité !
Des associations de médecins catholiques existent un peu partout dans le monde, regroupées aujourd’hui dans la FIAMC dont le siège est au Vatican, qui organise un Congrès tous les 4 ans. J’ai eu la joie d’organiser le dernier à Lourdes en 2010 sur un thème pas banal : la foi du médecin.
4°) Les médecins catholiques en France :
Pour ce qui est des médecins français, l’histoire est intéressante à reprendre. Qui sait qu’il existe à la Basilique du Sacré-Cœur de Montmartre, construit après la défaite de 1870 en pénitence pour les fautes commises  – et où l’adoration y est permanente depuis 1885 -, une chapelle dédiée à saint Luc, voulue par les médecins catholiques de la fin du 19ème siècle ? Il faut dire qu’elle a disparu de la mémoire collective du monde de la santé dans la deuxième moitié du 20ème siècle. Au sol, on trouve cette référence biblique : « Guérissez les malades et dites aux gens : le Royaume de Dieu est tout proche de vous » (Luc 10, 9). Cette chapelle a pu être édifiée par le biais d’une souscription auprès des médecins, ce qui a donné l’occasion de se rendre compte qu’il existait beaucoup plus de médecins catholiques qu’on l’imaginait. Le rassemblement d’une quinzaine de ces médecins venant de diverses régions de France donnera naissance à la Société Médicale Saint Luc, Saint Côme et Saint Damien le 27 septembre 1884. Dom Couturier, abbé de Solesmes, fera un discours important de fondation qui sera considéré comme la charte de la Société, soulignant qu’elle répond pleinement aux vœux du pape Léon XIII. Celui-ci demandait peu avant, dans son encyclique Humanum genus (20 avril 1884), de se garder du rationalisme et du matérialisme athée qui imprègnent la société (notamment de la Franc-Maçonnerie) et de proposer des « associations honnêtes » au service de la charité et fondées sur le Christ. Outre leur désir de sanctification personnelle et leur adhésion profonde à l’enseignement de l’Eglise catholique, les médecins de la Société Médicale vont chercher à creuser les différentes questions scientifiques et éthiques qui se posaient à leur époque, à la lumière de la raison et de la foi chrétienne. Ils eurent à cœur de défendre la vérité. Leurs travaux furent abondants et publiés dans le bulletin Saint Luc. Multiples seront également leurs œuvres de bienfaisance.
Cette Société médicale eut un développement florissant dans la première moitié du XXe siècle et contribua à la naissance d’autres associations du même type dans les différents pays d’Europe, puis du monde. En 1924, la Société française fut à l’origine d’un secrétariat central chargé, avec l’accord du Saint Père, de coordonner l’action des associations médicales des différents pays : c’est ce qui donnera naissance en 1966 à la Fédération Internationale des Associations de Médecins Catholiques (FIAMC).
Actuellement en France, il existe 3 groupes principaux de médecins catholiques :
– la plus ancienne : le CCMF, qui a succédé à la Société Médicale Saint Luc, Saint Côme et Saint Damien à partir de 1963 dans un  esprit sensiblement différent au départ… ;
– les Jeunes Médecins Chrétiens qui regroupent surtout des étudiants en médecine en fin d’études ;
– Amour et Vérité Médecins, branche médicale de la Fondation Amour et Vérité de l’Emmanuel, communauté charismatique bien connue, de caractère international.
Il faut ajouter un certain nombre de groupements diocésains.
4°) La présence de l’Eglise dans le monde de la médecine :
L’Etat a maintenant pris le relais des Institutions catholiques. La généralisation du droit aux soins en France depuis 1945 est une avancée qu’on peut qualifier de modèle, loin d’être généralisée sur la planète : est-ce un hasard que ce soit justement la fille aînée de l’Eglise qui soit à l’origine d’une telle mesure de justice ?
Mais une médecine laïcisée répond-elle complètement à l’attente de la personne malade ? Avant de répondre à cette question de fond, je voudrais d’abord insister sur le fait l’Eglise reste très malgré tout présente dans le monde de la médecine, sur toute la planète mais aussi dans notre pays.
De façon visible : par les religieuses et religieux, même si leur nombre a diminué, faisant partir d’Instituts ou d’Ordres très divers, hospitaliers ou non, aux premiers postes dans le soin aux souffrants, leur apportant l’amour caritas qui vient du Christ. Je n’oublie pas les aumôneries d’hôpitaux et de cliniques ainsi que des mouvements d’aide et de soutien aux malades tenus par des laïcs chrétiens comme le SEM.
De façon moins visible aussi à travers des réalisations exemplaires qui trouvent leur origine dans la foi catholique. Je m’en voudrais de ne pas citer la fondation Jérôme Lejeune par exemple qui continue l’œuvre  de J. Lejeune, découvreur de la trisomie 21 « pour vaincre les maladies génétiques de l’intelligence ». Elle publie entre autre des Manuels gratuits pour les jeunes forts bien faits (sur la théorie du genre, sur la bioéthique). Les associations de défense et de soutien de la vie comme Mère de Miséricorde (résolument catholique) ou Alliance Vita qui se veut et se présente comme aconfessionnelle mais fondée par des catholiques convaincus. Son président est un médecin, le Dr Xavier Mirabel. Ils font un travail énorme et très professionnel qu’on ne peut contester.
Juste un mot sur les soins palliatifs, tellement utiles mais encore terriblement insuffisants en nombre : ils ont été fondés en France en 1987 en grande partie grâce à des médecins catholiques dont le Dr Maurice Abiven (1924-2007) qui fréquentait Lourdes, qui a également participé à la fondation de la SFAP (Société française d’accompagnement des soins palliatifs).
Je ne puis tout passer en revue (je pense au SAMU social, aux MSF, etc…) : je suis sûr que vous pourriez vous-mêmes donner de nombreux exemples de réalisations dans le domaine de la santé dues ou tenues par des gens de foi ou engagés au nom de leur foi.
Mais il n’en reste pas moins que dorénavant le monde médical s’est complètement dissocié du « monde de la foi » avec des côtés positifs, quant aux moyens surtout, et à l’extension des soins à l’ensemble de la population, autant que faire se peut, mais avec des conséquences que je voudrais examiner maintenant avec vous.
II – Un monde médical hypersécularisé
Depuis une centaine d’années, la foi n’a plus guère sa place dans le milieu du soin. Le “monde” s’est emparé de ce domaine de la santé en lui imprimant son esprit qui ne laisse plus beaucoup de place à notre condition d’enfant de Dieu. On est tombé dans la laïcité (sinon dans le laïcisme) et une sécularisation toujours plus prégnante qui a engendré une médecine elle-même hypersécularisée.
1°) Une médecine à l’image de la société :
La médecine est le reflet de la société qui la secrète.
Notre société occidentale tellement « avancée » a engendré une médecine ultra-développée . Ses progrès sont immenses. Nous ne nous en plaindrons pas : nous lui en sommes tous redevables ! Si on ne l’avait pas, il faudrait l’inventer ! Personne, pas plus vous que moi, ne souhaiterait revenir 100 ans en arrière sur le plan sanitaire, c’est certain. Grâce au développement exponentiel des technosciences (pour les actes d’intervention tels que la radiologie, la chirurgie, la fibroscopie, etc.) et de l’industrie chimique (pour les médicaments), la médecine est devenue d’une efficacité remarquable.
Mais, revers de la médaille, cette efficacité s’est révélée pouvoir devenir redoutable (ses “effets collatéraux” ne sont pas sans poser de plus en plus de problèmes), et, même, il faut regarder les choses en face, dangereuse : dotée de possibilités et de pouvoirs de plus en plus illimités, une part d’elle-même est gagnée par une frénésie de tout résoudre par tous les moyens ! Elle sombre alors dans une médecine que j’appelle “ultra-médecine” qui en arrive à enfreindre les limites éthiques les plus fondamentales basées sur la loi naturelle, jusqu’à des excès transgressifs qui remettent en cause les fondements même de notre humanité. Ce à quoi l’Eglise met en garde sans relâche non par idéologie, comme on voudrait nous le faire croire, mais pour le salut de l’homme et de toute l’humanité. Je pense, bien sûr, à l’interruption volontaire ou même médicale de la grossesse, mais aussi aux recherches sur l’embryon, à l’assistance médicale à la procréation, à la gestation pour autrui, à l’accès au don des ovocytes, à la généralisation du diagnostic prénatal et préimplantatoire, aux bébés éprouvette, aux bébés médicaments, aux embryons congelés, etc, etc…
Sur le plan de la recherche biologique, ce n’est guère plus encourageant ! On ne se contente plus des cellules-souches embryonnaires (alors qu’elles n’ont manifestement pas d’avenir thérapeutique, à l’opposé des cellules-souches adultes ou de celles qui sont reprogrammées). Un livre vient de sortir qui rend compte des avancées de la « biologie synthétique », ce domaine de la biologie qui vise à synthétiser des « objets pseudo-vivants », dont des génomes entiers, cellulaires ou viraux, plus ou moins inspirés par le vivant, adaptables aux desseins technologiques de l’homme…
Cette fuite en avant (j’allais dire « cette course à l’armement »… ») perverse, incompatible avec la vie, devient tellement prégnante qu’à la récente 18ème Assemblée Pontificale pour la Vie à Rome, sur le thème « diagnostic et thérapie de l’infertilité », des conférenciers, pourtant triés sur le volet, se sont permis de présenter la FIV comme une manière appropriée de traiter certaines femmes souffrant d’infertilité ou de l’insémination artificielle ; d’autres orateurs ont soutenu, comme l’industrie de la contraception hormonale, que la pilule protège du cancer des ovaires, sans rappeler qu’elle est aussi liée au cancer du sein dont le nombre explose littéralement.
Benoît XVI a été obligé de faire une mise au point en mettant en garde contre « le scientisme et la logique de profit » de la médecine.
Ce dont on ne se rend pas assez compte, en effet, c’est que la formation médicale ayant intégré deux siècles de culture rationaliste sûre des exigences scientifiques de l’histoire et de l’inéluctable progrès scientifique, est terriblement scientiste. Le scientisme repose sur la méthode expérimentale basée sur le « naturalisme méthodologique », notion selon laquelle toutes les manifestations ayant cours dans l’Univers doivent être scientifiquement explicables. Ce « matérialisme méthodologique » est devenu un dogme.
Cette médecine scientiste, à la suite de Descartes, de Malebranche et du cartésianisme, considère le corps comme une machine, un corps passif et éclaté en une multitude d’organes et de fonctions, existant par lui-même, l’âme étant juste assimilée au psychisme. Son anthropologie purement psychosomatique, ignore la dimension transcendante, spirituelle, de la personne et relégue le fait religieux dans le domaine de l’improbable.
Aussi n’est-il pas surprenant que la médecine est largement tentée par le “post-modernisme”, courant de “pensée” porté par un agnosticisme religieux, lui-même enraciné dans un relativisme moral et juridique, dont le « projet » vise à éliminer l’anthropologie chrétienne en faisant naître un homme parfaitement individualiste dont le lieu emblématique d’application est la liberté absolue dans la pratique sexuelle, la théorie du “gender” en étant l’emblème. C’est dans ce cadre que se développe de plus en plus la notion de “santé reproductive” (reproductive health) qui n’est autre que de libérer la pratique sexuelle du cadre familial et de la moralité traditionnelle et religieuse.
2°) Une notion de la santé dévoyée :
La médecine est dépendante de la demande des patients. Aujourd’hui, tout le monde veut être beau, jeune et bien portant. La notion de santé est devenue ambiguë, considérée comme un droit quasi-absolu exigible par tous les moyens (alors que c’est le droit aux soins qui est un absolu, il ne faut pas confondre). La santé est devenue une religion dont les grands prêtres sont les médecins qui doivent tout résoudre, éliminer tout ce qui gêne, abolir toute douleur. On en arrive à ce que seule compte la vie en bonne santé avant la vie reçue comme un don : c’est un problème majeur pour le milieu médical chrétien.
En réalité, la santé n’est pas le produit de la médecine. Si c’était le cas, il faudrait toujours être médicalisé ! Malheureusement, aujourd’hui, c’est ce à quoi on en est à peu près arrivé ! On devient des malades assistés, pas des guéris, pas des personne en bonne santé. « La médecine a fait tellement de progrès que plus personne n’est en bonne santé ! » disait déjà Aldous Huxley. On croit que la médecine va nous guérir. En devenant de ces malades assistés, on fait le lit d’une certaine charlatanerie médicale.
3°) Des soignants en grande souffrance :
Face à cette structure que le bienheureux Jean-Paul II n’a pas hésité à appeler « de péché » ou « culture de mort », on ne se rend pas assez compte combien la profession médicale est actuellement en grande souffrance. Le cas du Dr Bonnemaison à Bayonne, qui a euthanasié sans gêne 8 ou 9 vieillards en est le symptôme : perte des repères pouvant aller jusqu’à cette « folie ».
Les professionnels de santé en général sont très désorientés, beaucoup en difficulté psychique : le taux de « burn-out » et de suicides est un des plus élevé dans la population française !
Aucun professionnel de santé n’y échappe, pharmaciens, infirmières, sages-femmes, aides-soignants, etc., confrontés à leur conscience face à une médecine qui doit suivre l’évolution du monde « caractérisé par la perfection des moyens et la confusion des fins » comme le disait déjà Einstein.
Les premiers à être touchés au plus profond d’eux-mêmes sont, j’ai pu m’en rendre compte à Lourdes, à travers les confidences reçues, les acteurs de santé catholiques qui doivent trop souvent faire des choix cruciaux qui peuvent aller contre leur conscience ou la morale. Ils souffrent profondément de devoir admettre, et parfois participer à leur corps défendant à cette culture imprégnant autant le monde médical que la société.
Face à cet état de fait, comment redonner sa place, toute sa place, rien que sa place, à la foi dans la médecine ?
III –Comment laisser sa place à la foi dans le monde médical ?
Un chrétien « normalement constitué » ne peut renoncer à changer le monde, quel qu’il soit, à commencer par le monde de la médecine, c’est-à-dire à le transformer pour le remettre dans l’esprit de Dieu et non plus dans l’esprit du prince de ce monde. L’enjeu est considérable.
Il y a d’abord à changer les choses de l’intérieur, au niveau des personnes : Qu’est-ce que le médecin chrétien peut apporter de plus ? Soigne-t-il mieux que les autres ? Doit-il évangéliser ses patients ? Doit-il prier pour eux ?
Mais, peut-on, – doit-on aussi – envisager de modifier les choses de l’extérieur au niveau des structures médicales elles-mêmes ? Je ne me déroberai pas à cette question d’importance.
A – Au niveau des personnes : se regrouper, prier, être, se former, résister
Je ne développerai pas les deux premiers verbes : se retrouver avec d’autres médecins catholiques est indispensable, et sans une vie de prière et une vie sacramentelle, ce n’est pas la peine d’entreprendre quoi que ce soit. Ceci est vrai pour tout chrétien, quelque soit son état.
1°) Etre : la  spécificité du médecin chrétien :
Le médecin chrétien sait et professe que l’homme est sauvé par Jésus-Christ qui a donné sa vie pour lui. Il sait, lui, sans renier les apports nécessaires des sciences humaines, que la Bible s’ouvre sur un tout autre plan : l’homme, créé à l’image de Dieu, a une identité divine, et seul Dieu est à même de combler l’infini de sa vocation. Nous, soignants chrétiens, croyons qu’il n’y a de plénitude humaine que divine. Comment pourrions-nous ne pas essayer de faire passer ce message fondamental dans le milieu de la santé ?
Tout chrétien est porteur du Christ. Combien plus celui qui se penche sur l’homme souffrant, d’autant que Jésus s’est identifié à lui (Mt 26). Le médecin chrétien a à contempler longuement Jésus pour devenir un médecin selon son cœur. Comment Jésus écoute les malades, comment il les interroge, comment il les touche, comment il les soigne. Le médecin chrétien doit regarder de près comment Jésus est le médecin, le Christ médecin. Le médecin chrétien ne soigne pas mieux que les autres. Il a certes pour premier devoir de soigner avec compétence ; mais la compétence ne suffit pas. Il doit aimer les gens, avec empathie ; ce n’est pas suffisant non plus : il doit aimer comme Dieu aime : par sa manière d’être, par sa manière de faire, il peut préparer les cœurs au salut de Jésus-Christ qui est rétablissement de la personne dans son intégrité et dans sa vocation (qui est amour).
Le médecin chrétien sait, enfin, que la vie est sacrée, qu’elle vient de Dieu, que « la vie c’est Dieu qui se donne à chaque instant ».
Alors, s’agit-il de vouloir évangéliser son patient ? Non, ce serait vu aussitôt comme du prosélytisme dans notre société laïque. Il s’agit d’être soi-même, médecin et chrétien. Rien n’empêche de montrer que l’on est chrétien. Dans le cadre d’une pratique libérale, rien n’empêche de poser d’interroger le patient également sur sa vie intérieure ou spirituelle : « pourquoi voulez-vous guérir ? » ou « êtes-vous croyant ? » puis : « la foi vous aide-t-elle à vivre ? ». S’il est chrétien, rien n’empêche de lui demander s’il veut que l’on prie pour lui ou, même, s’il veut, que l’on prie ensemble tout de suite. Et si on soupçonne une origine spirituelle à ses maux, ce qui n’est pas si rare, rien n’empêche de lui proposer d’aller se confesser à un prêtre.
2°) Se former :
Tout le monde sait que la médecine est dévoreuse de temps. Ce n’est pas une raison pour que le soignant chrétien reste un analphabète catéchétique et anthropologique. Il doit absolument se former régulièrement pour non seulement avoir une pratique en concordance avec l’enseignement de l’Eglise mais aussi pouvoir défendre ses convictions. L’Evangile de la Vie de Jean-Paul II devrait être son livre de chevet et il devrait avoir sous la main des livres de base : non seulement le CEC (1503- 1505), mais aussi la Charte des personnels de la santé (publiée par le Conseil pour la Pastorale des Services de Santé) ou encore le Lexique des termes ambigus et controversés sur la famille, la vie et les questions éthiques par le Conseil Pontifical pour la Famille (Tequi).
Il faudrait aussi que les médecins chrétiens s’appuient sur une véritable anthropologie biblique, chrétienne, reconnaissant la personne comme corps, âme vivante et esprit vivifiant (selon 1Th 5, 21).
3°) Résister :
S’il veut garder la paix intérieure, le soignant chrétien se doit de résister à l’ambiance délétère qui l’entoure. A un moment donné, il faut savoir dire stop face à ce qu’il faut bien appeler les “dérives de l’ultramédecine”, opposer une fin de non-recevoir pouvant aller jusqu’à l’objection de conscience si nécessaire.
Comment peut-on vouloir légaliser l’euthanasie, sous prétexte « d’assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité » ? C’est une aberration sur tous les plans, à commencer par le détournement du mot dignité, avec pour conséquence le risque d’anéantissement de la relation de confiance entre soignants et soignés !
Plus subtilement, le médecin doit aussi résister à cette idolâtrie de la santé qui obnubile nos contemporains. Jean-Paul II disait avec raison, au regard du salut et de la vie avec Dieu : « La santé est un bien avant-dernier dans la hiérarchie des valeurs qui doit être considérée et cultivée dans l’optique du bien total et également spirituel de la personne ». La médecine est malade quand elle doit se mettre au service d’une sacro-sainte santé qui devient un impératif social ; ou quand elle mesure la dignité de la personne humaine à la perfection du corps.
B – Au niveau des structures : pour une médecine de la vie
Etre un bon professionnel de santé, le meilleur possible, c’est bien. Toujours continuer à se former est nécessaire. Résister au mal et le dénoncer, c’est indispensable. Cela suffit-il ? Je ne le pense pas. Il serait temps de se prononcer pour une autre forme de médecine plus conforme à la foi !
Le modèle médical occidental est dualiste : la vie est séparée du vivant, l’âme du corps ; d’un côté un corps malade, de l’autre un médecin qui seul sait, qui seul guérit. Peut-on se contenter d’essayer d’améliorer au mieux les choses, de saupoudrer, faute de foi, un peu d’humanisme ? Faut-il renoncer à changer le monde actuel de la médecine qui ne met sa confiance qu’en ce qu’il fabrique, à sa façon, en se substituant systématiquement à la nature par du tout synthétique, du tout artificiel, du tout chimique ?
N’y aurait-il pas une autre voie – un autre paradigme – qui fasse confiance à la vie, en tant que don de Dieu, qui s’appuie sur le “dynamisme naturel de l’organisme”, qui s’ouvre alors à la dimension spirituelle inhérente à la personne ? Une médecine respectueuse de la vie, de la Création et de la personne qui, pour moi, peut seule caractériser une médecine d’inspiration chrétienne.
Mon expérience de Lourdes m’a amené à réfléchir à cette possibilité à partir des guérisons miraculeuses. Ces guérisons ne sont pas magiques : Dieu peut fort bien agir dans le cœur, l’âme spirituelle, la fine pointe de l’âme, action qui s’étend à l’âme vitale, provoquant aussi la guérison du corps. C’est une effusion qui diffuse dans tout l’être. D’origine surnaturelle, la guérison physique s’effectue forcément par des mécanismes naturels. Il y a synergie.
Nous, médecins chrétiens, devrions prendre exemple sur ces guérisons miraculeuses, véritables “icônes” de la guérison. Toute guérison vraie, même ordinaire, vient de Dieu. Pense-t-on à admirer Dieu auteur de la nature, comme on admire Dieu auteur du miracle ? « Toute guérison est un mystère ». Oui, dans une vision chrétienne, toute guérison est en quelque sorte sacrée : Dieu n’en est pas absent. Tout est don, la guérison comme la vie, la guérison qui remet la vie sur la bonne pente.
Relisons Si 38, 1-15 : La guérison est la réunion convergente du Très-Haut, du malade qui prie (Jc 5, 13-14) et du médecin qui le soigne quand il a recourt à lui.
De là, je pense que, face aux dérives de la médecine conventionnelle, ce ne serait pas du luxe de soutenir une médecine de la vie, qui soit aussi une médecine écologique et une médecine de la personne.
Il n’est pas question de rejeter la médecine en tant que telle, une médecine la plus pointue possible et des médecins les plus compétents possibles, tant sur le plan diagnostique que thérapeutique, mais, premièrement, qui refuse de jouer à l’apprenti-sorcier : une médecine pour guérir et non une médecine pour “rafistoler” même avec les meilleures intentions (l’enfer en est pavé…). Il faudrait aussi que cette médecine de pointe, essentiellement curative et demandant beaucoup de moyens (techniques et … financiers), accepte d’être la médecine “extraordinaire”, secondaire, laissant la première place à une médecine “ordinaire”, une médecine préventive avant d’être curative, fondée sur la Vie et la Nature, avec pour finalité l’entretien, le soutien ou le rétablissement de la vitalité naturelle du patient.
Je suis conscient qu’il s’agit là d’une véritable révolution des esprits. C’est pourtant la seule possibilité, la seule voie pour rendre à Dieu, à la Vie, à la santé, au médecin, leur vraie place.
Alors, la cause efficiente première de la santé n’est plus la médecine, mais la nature vitale d’origine divine ; alors, sans rien ôter à sa nécessité et à sa valeur, le médecin, vecteur fondamental de la guérison par son savoir-faire qui reste primordial, devient réellement auxiliaire de la nature vitale du patient.
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Cette médecine serait aussi une médecine de la personne. L’avenir de la médecine, sur ce point tout le monde est d’accord, à commencer par les économistes (qui n’arrêtent pas de tirer la sonnette d’alarme en prédisant que la « bulle médicale » va éclater tôt ou tard, comme la « bulle financière »), repose sur une “médecine personnalisée” (comme on l’appelle aujourd’hui, au sens de “médecine individualisée” car il y manque la dimension spirituelle).
Les médecines alternatives sont le plus à même de répondre à cette orientation, se dotant aujourd’hui de paramètres et marqueurs biologiques de plus en plus précis.
Ce serait également une médecine écologique, c’est-à-dire une médecine utilisant des remèdes non agressifs ni pour l’homme ni pour la création. Il n’est pas besoin de rappeler les risques de plus en plus évidents de toxicité des médicaments actuels pour la nature humaine et pour l’environnement. La pollution due aux médicaments rejetés dans la nature (AB, AINS, hormones, produits de contraste, etc.) est un problème de santé publique qui va devenir capital.
Une médecine écologique n’est plus un luxe ou une lubie, elle est une nécessité, humaine, environnementale, éthique (telle que définie largement par nos papes).
Conclusion :
Finalement, à la question posée : « La foi a-t-elle sa place dans le monde de la médecine ? » ma réponse est : « Plus que jamais, il le faudrait ! ». Car, malheureusement, force est de constater que  malgré l’investissement des médecins catholiques et de nombreuses associations qui font un travail remarquable, le monde médical dans son ensemble est obligatoirement pollué par l’esprit du monde, édifiant, sous la pression de la société, un univers coupé de Dieu où le mystère de la Vie, de la Nature, de la santé et de la guérison véritables, de l’homme lui-même, ont de moins en moins de place. Comment pouvons-nous accepter sans réagir qu’une médecine en vienne à vouloir manipuler la vie elle-même, suprême défi au Créateur ?
« Le monde a besoin d’une guérison psychique et sociale, mais plus encore spirituelle » déclarait Benoît XVI, le 23 mais 2007. N’est ce pas aussi le cas de cette médecine à la remorque du monde ? Pour le bien de tous, je crois qu’il est temps d’envisager de mettre en place un nouveau système de santé cohérent, prioritairement basé sur une véritable prévention, moins onéreux, fondé sur ces trois piliers fondamentaux que sont la vie, la personne, la Création.
Cela dépend d’abord du choix de chaque acteur de santé, de chacun de nous.
Ou bien, obnubilés par ce monde sécularisé, on cherche ici-bas le paradis, la mort étant considérée comme un scandale inacceptable. On en vient alors à avoir pour horizon un « happy end » de l’existence conçue comme une thérapie permanente… de la contraception à la mort programmée, anesthésié, euthanasié si nécessaire, enfin guéri. Guéri de quoi ? De la vie !
Ou bien, on croit que la vie est une depuis la conception et que la mort n’est pas une fin, et nous décidons de remettre la Vie, la Nature, la personne et la Création au centre de la médecine, d’une médecine qui, tout en utilisant les moyens les plus actuels et toutes les découvertes des sciences fondamentales avec discernement, accepte de se mettre humblement au service de la vitalité naturelle du patient, une véritable médecine de la vie.
Oui, à nous de choisir !
Dr Patrick Theillier
Toulouse, le 8 mars 2012
Conférence de Carême
Bibliographie
Etre chrétien aujourd’hui dans sa pratique médicale 1er Congrès-Pèlerinage des Médecins francophones à Lourdes. Cardinal Ph. Barbarin, Pr. V. Delmas, S.-Th. Bonino, B. Grière, Mgr M. Guyard, I. Lévy, Mgr J. Perrier, P. Protot, P. Theillier.
Parole et Silence 2005
Etre médecin et chrétien aujourd’hui 2ème Congrès des Médecins francophones à Lourdes. Sous la direction du Dr Patrick Theillier, responsable du Bureau Médical de Lourdes.
Lourdes, des miracles pour notre guérison. Dr Patrick Theillier Presses de la Renaissance
Une nouvelle approche biomédicale des maladies chroniques « l’endothérapie multivalente ».
Dr Michel Geffard et Dr Patrick Theillier F-X de Guibert 2003
Sur l’alimentation :
Dr Pascal Trotta : L’alimentation vivante, une médecine à part entière ».  F-X de Guibert.
Laëtitia Agullo : L’indispensable de l’alimentation saine. Ed. Jouvence.
Richard Béliveau et Denis Gingras : L’alimentation anti-âge. Le livre de poche.
Dr Patrick Theillier : Pourquoi les compléments alimentaires France Catholique n° 3200.
Dr Jean-Paul Curtay : Le guide familial des aliments soigneurs. Le livre de poche.
Site : www.Institut-protection-sante-naturelle.eu
Voir la vidéo sur « Les défaillances de notre système de santé ».
E-mail : Sante et Nutrition [santenutrition@sante-nature-innovation.fr]
Livres :
Dr Dominique Rueff : Mieux que guérir : les bénéfices de la médecine intégrative Ed J. Lyon.
Pr Luc Montagnier : Les combats de la vie Livre de poche.
David Servan-Schreiber : Anticancer Presses Pocket.
Dr Xavier Lelièvre : Stérilité et Médecine traditionnelle chinoise. Tequi
Anthropologie :
Livres de Claude Tresmontant
Livres de Michel Fromaget
Dr Roques Savioli : La guérison des trois cœurs. Presses de la Renaissance.
Ecologie :
Patrice de Plunkett : L’écologie de la Bible à nos jours. L’œuvre.
Benoit XVI : Caritas in veritate