Chaque année, plus de 600 000 femmes enceintes demandent, le plus souvent sans en maitriser les enjeux, le dépistage de la trisomie 21. Elles intègrent alors un fichier national avec les résultats de leur test. C’est l’Agence de Biomédecine qui centralise ce fichier. L’anonymisation des données est théorique, car chaque patiente peut être aisément retrouvée notamment grâce à sa date de naissance et sa localisation géographique très précise. La Fondation Lejeune se prépare à intenter le 5 juillet 2016 un recours auprès du Conseil d’Etat pour annulation du décret du 3 Mai 2016 qui proroge ce fichier national du diagnostic prénatal de la trisomie 21.
Initialement ce fichier a été mis en place pour permettre le « contrôle qualité » des médecins et des sages-femmes. Celui-ci se base pour les cliniciens sur l’ensemble des résultats des échographies, et, pour les biologistes, sur l’ensemble des résultats des marqueurs sériques. En connaissant ces conclusions, les médecins peuvent ajuster leur travail quotidien : il n’est pas nécessaire pour eux de connaitre les issues de grossesses qui doivent figurer dans ce fichier.
Les autorités compétentes ont été saisies en leur temps pour autoriser la prise en charge financière nationale de ce dépistage. Ainsi ces autorités ont examiné le sérieux de l’ensemble des résultats scientifiques internationaux des études sur le sujet. Il n’y a donc pas lieu de vérifier ces résultats.
La loi bioéthique de 2011 avait changé la proposition systématique de ce dépistage aux patientes en information systématique. Deux ans auparavant, l’arrêté du 23 Juin 2009 fixait les règles de dépistage de la trisomie 21. Il affichait comme objectif de réduire le nombre d’amniocentèses. Mais, en obligeant les médecins à la proposition systématique des tests, cet arrêté avait suscité notre désapprobation aiguë. La loi de Bioéthique de 2011 a finalement préféré demander au corps médical d’informer les patientes. Celles-ci sont donc, au regard de la loi, libres de demander ou non ce test. L’arrêté de 2009 aurait donc dû être réécrit en ce sens. Malheureusement, les arrêtés et décrets suivants n’en font rien, au contraire, ils maintiennent la pression sur la société et le corps médical.
Nous nous étonnons donc de l’absence de but clairement identifié de ces textes : les moyens sont-ils une fin en soi ? Si les buts étaient clairement énoncés, peut-être pourrions-nous mettre en œuvre des moyens ajustés scientifiquement et humainement. L’aspect scientifique de ce test étant largement documenté dans la littérature, comment un pays comme le nôtre peut-il justifier un tel audit ?
Pourquoi stigmatiser la trisomie 21 en créant un fichier national ?
Cette question est sérieuse car elle touche toutes les femmes enceintes, 820 000 par an en France, leur conjoint, et leurs enfants à naître. Il convient de replacer la liberté de choix des femmes enceintes au centre du dispositif de dépistage et libérer les médecins de la pression exercée par ces directives. Nous souhaitons que l’objectif soit clairement de transformer ce dépistage rendu presque systématique par les pressions administratives en un dépistage individuel et choisi. Légalement, ces pressions n’existent pas, mais le cadre réglementaire impose une pression irraisonnée aux praticiens.
Le test est en apparence anodin puisqu’il ne consiste qu’en la mesure échographique de la nuque de l’embryon âgé de 3 mois, couplée à une simple prise de sang maternelle (marqueurs sériques). Il a pourtant des conséquences très souvent méconnues et subies. En avoir conscience c’est pouvoir, d’une façon peut être imperceptible, changer le regard du corps médical, des femmes enceintes et de la société sur ce dépistage. Dans cette réflexion tient aussi la nature du regard que l’on pose sur l’anormalité et sur la liberté individuelle face à l’hégémonie du « normal ».
Les médecins sont acteurs malgré eux d’une stigmatisation des personnes trisomiques 21, et ce fichier national l’accentue. Notre participation obligatoire à ce recensement des données met à mal notre indépendance de médecin. Nous contribuons à un système auquel nous n’adhérons pas, et auquel on ne nous laisse pas la possibilité de nous défaire. Le but initial, louable, de mettre en place une évaluation des pratiques professionnelles a été largement dépassé pour atteindre des objectifs indignes d’une nation où les Droits de l’Homme ont germés.
Dr Bertrand Galichon
Président du CCMF (Membre de la FIAMC)