A l’approche de l’ouverture du débat parlementaire en vue de la révision de la loi bioéthique, alors que l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques va publier son rapport et que le Comité Consultatif National d’Ethique va donner son Avis, l’Eglise de France explique sa position sur l’Assistance Médicale à la Procréation (AMP).
Dans une Déclaration signée par tous les évêques de France : « La dignité de la procréation » (coédition, Cerf, Bayard, Mame), l’Église catholique rappelle la valeur de la procréation : acte profondément et spécifiquement humain dont la manipulation entamerait gravement la valeur de fraternité qui fonde le pacte social en notre société.
Ce texte en est une synthèse.
Donner la vie à un enfant est une expérience des plus fortes, une source d’émerveillement des plus profondes, une responsabilité des plus grandes. Les traditions bibliques les considèrent comme un don et une bénédiction de Dieu. Aussi, l’Église catholique se veut attentive au désir d’enfant et à la souffrance due à l’infertilité. Elle encourage les recherches qui visent à prévenir cette infertilité ou à la guérir. Elle insiste sur l’accueil et le respect bienveillants dus aux enfants, quels que soient les moyens utilisés pour leur venue au monde.
À l’occasion de la révision des lois relatives à la bioéthique, des projets d’accès aux techniques d’assistance médicale à la procréation (AMP) pour des couples de femmes ou pour des femmes seules ont été formulés et mis en débat. En tant qu’évêques de France, à l’écoute respectueuse des personnes et de leurs situations de vie, nous souhaitons apporter notre contribution à ces débats en proposant un discernement éthique posé en raison. Nous le faisons dans un esprit de dialogue où sont présentés les arguments.
Valeur et norme fondamentales de la procréation
La dignité de la personne inclut la procréation
Le Conseil d’État a rappelé que la « dignité » est placée « au frontispice » du cadre juridique de la bioéthique française et qu’elle a une « valeur constitutionnelle ». Il a souligné également qu’« une conception particulière du corps humain » en « découle » et que « l’enveloppe charnelle est indissociable de la personne ». La dignité de la personne inclut donc le processus de la procréation – conception et gestation – où se développe notamment son corps.
La procréation ne doit s’apparenter ni à une fabrication, ni à une marchandisation, ni à une instrumentalisation
Puisque toute personne, quelle qu’elle soit, a une dignité, elle doit être traitée comme une fin et jamais comme un simple moyen. Procréer, c’est désirer faire advenir une personne en la voulant pour elle-même. Aucune souffrance relative au désir d’enfant ne peut donc légitimer des procédés de fécondation et des modalités de grossesse qui s’apparenteraient à une fabrication, une marchandisation ou une instrumentalisation d’un être humain au service d’autres êtres humains, ou encore au service de la science ou de la société.
La souffrance liée au désir d’enfant doit être accompagnée
La souffrance liée au désir d’enfant ne peut être ni minimisée ni abordée par le seul remède de la technique. Nous souhaitons le développement d’un accompagnement qui soit respectueux des personnes concernées, qui sache les informer loyalement pour que leurs décisions soient prises en conscience, de façon éclairée, et qui porte le souci de la dignité de la procréation.
Principaux problèmes éthiques liés aux pratiques actuelles de l’AMP
La loi actuelle encadre les techniques d’AMP en cherchant à calquer les structures fondamentales de la procréation naturelle, en particulier la double lignée paternelle et maternelle. C’est tout l’intérêt du modèle bioéthique français. Cependant, la mise en œuvre de ces techniques pose des problèmes éthiques dont la gravité diffère en fonction des types de dissociation qu’elles opèrent : corporelle (fécondation hors corps), temporelle (congélation des embryons) et personnelle (intervention d’un tiers-donneur). Les trois principaux problèmes éthiques sont les suivants :
Le devenir des embryons humains « surnuméraires »
Le devenir des embryons humains « surnuméraires » est soumis à l’appréciation des conjoints. Selon leur « projet parental », ils sont implantés pour devenir des enfants, ou détruits, ou remis à la recherche, ou encore donnés pour être accueillis par un autre couple. Pouvant tous conduire à une naissance, ces embryons sont pourtant dignes du même respect.
Le recours à un tiers-donneur
Par le recours, dans certains cas, à un tiers-donneur de gamètes, l’enfant n’est plus le fruit du lien conjugal et de la donation conjugale. Le recours à un tiers-donneur porte également atteinte à la filiation puisque l’enfant est référé à un tiers dont le droit institutionnalise l’absence par la règle de l’anonymat et prive ainsi l’enfant de l’accès à ses « origines ».
Le développement de l’eugénisme libéral
L’extension des techniques de diagnostic, qui permettent de sélectionner les embryons humains in vivo (diagnostic prénatal [DPN]) ou in vitro (diagnostic préimplantatoire [DPI]), conduit au développement de l’eugénisme dit « libéral » parce qu’il résulte de la conjonction de décisions individuelles et non pas d’une décision d’État.
Principales difficultés éthiques du projet d’« AMP pour toutes les femmes »
Le projet d’ouverture de l’AMP aux couples de femmes et aux femmes seules écarte dès le principe la référence biologique et sociale à un père. La mise en œuvre de ce projet doit s’affronter à cinq obstacles éthiques majeurs :
« L’intérêt supérieur de l’enfant » exige une référence paternelle
Puisque l’enfant doit être voulu pour lui-même, le bien de l’enfant devrait prévaloir sur celui des adultes. Le droit international semble le ratifier en consacrant la notion juridique d’« intérêt supérieur de l’enfant » dont la « primauté » est, pour le Conseil d’État, « incontestable ». Comment pourrions-nous nous contenter collectivement de l’instauration d’une sorte d’« équilibre » entre cet intérêt de l’enfant et celui des adultes ?
La suppression juridique de la généalogie paternelle porterait atteinte au bien de l’enfant qui serait privé de sa référence à une double filiation, quelles que soient ses capacités psychiques d’adaptation. Cette exigence de la référence à un père est confirmée par les citoyens qui se sont exprimés lors des États généraux de la bioéthique et dans deux sondages posant explicitement la question du père. La suppression juridique du père encouragerait socialement la diminution, voire l’éviction, des responsabilités du père. Une telle dérive poserait non seulement un problème anthropologique mais aussi psychologique et social. Pourrions-nous accepter collectivement que l’homme soit considéré comme un simple fournisseur de matériaux génétiques et que la procréation humaine s’apparente ainsi à une fabrication ?
Le maintien du principe de l’anonymat du tiers-donneur empêcherait les enfants et les adultes en souffrance d’accéder à leur « origine masculine », alors même que la légitimité d’un droit à connaître ses « origines » progresse dans la société. En minimisant ainsi l’intérêt des enfants, voire en l’occultant, un pouvoir injuste serait exercé sur eux. Devons-nous accepter cette injustice ?
Enfin, l’ouverture de l’AMP aux femmes seules impliquerait, selon le principe de non-discrimination, l’autorisation de l’AMP post-mortem au profit d’une femme seule en raison du décès de son conjoint. Est-ce l’intérêt de l’enfant d’être engendré orphelin de père et dans un tel contexte de deuil ?
Le risque de marchandisation
Une demande croissante de sperme serait induite par l’ouverture de l’« AMP pour toutes les femmes ». Il n’est pas certain qu’une telle ouverture susciterait plus de dons. Le contraire est sans doute plus probable si le principe de l’anonymat était partiellement levé. Pour remédier à la pénurie prévisible, la tentation serait de rémunérer les donneurs, voire de charger l’État d’importer du sperme. Accepterions-nous collectivement que ce commerce ruine le principe de gratuité des éléments du corps humain et tende ainsi à ranger la personne du côté des biens marchands ?
Le principe de gratuité est essentiel pour traduire juridiquement que ni la personne ni aucun de ses éléments corporels ne sont assimilables à des choses. L’extension de l’« AMP pour toutes les femmes » ferait donc, selon le Comité Consultatif National d’Éthique (CCNE), « courir le risque d’une déstabilisation de tout le système bioéthique français ». Puisqu’il y a, selon le CCNE, un consensus général sur le maintien de ce principe en raison de la dignité de la personne en son corps, il devrait être plus facile de renoncer collectivement à cette extension légale de l’AMP.
L’impact de la transformation de la mission de la médecine
La légalisation de l’« AMP pour toutes les femmes » contribuerait à transformer le rôle de la médecine en y intégrant la prise en compte des demandes sociétales. Comment établir les priorités de soin et de son financement si le critère n’est plus celui de la pathologie médicale ? Sans ce critère objectif, comment fonder la justice relative à la solidarité et à l’égalité de tous devant le soin ? Comment réguler les désirs insatisfaits qui convoqueront la médecine ? Comment évoluera la relation au médecin qui risquera de devenir un prestataire de service ?
Des conséquences prévisibles de la prépondérance du « projet parental »
L’ouverture de l’« AMP pour toutes les femmes » serait fondée sur le « projet parental » qui deviendrait le critère supérieur de régulation des techniques d’AMP. Il donne un poids prépondérant à la volonté individuelle au détriment d’une référence à la dignité de la procréation et à l’intérêt de l’enfant. Comment pourrait-on réguler le pouvoir de ce « projet parental » ? Que deviendrait la possible évaluation actuelle par le médecin de « l’intérêt de l’enfant à naître » pour accéder à l’AMP ? Si, comme l’imagine le Conseil d’État, deux femmes font une déclaration anticipée de filiation devant un notaire, quels seraient pour lui les critères d’évaluation de « l’intérêt de l’enfant à naître » ?
La seule référence au « projet parental », c’est-à-dire aux volontés individuelles, conduirait également à supprimer la règle juridique actuelle empêchant le double don (spermatozoïdes et ovocytes). Il n’y aurait plus aucun lien biologique de l’enfant avec ses parents, tout en étant conçu selon leur projet.
L’impossible justification par le seul argument de l’égalité
Le seul argument de l’égalité pour justifier la légalisation de l’« AMP pour toutes les femmes » est utilisé à tort, comme le reconnaît le Conseil d’État. En effet, l’égalité juridique ne se justifie que pour des situations semblables. Or l’infertilité du couple homme-femme est une situation non identique à celle d’un couple de femmes dont la relation ne peut être féconde. Si l’argument d’égalité est brandi au bénéfice des femmes, alors l’ouverture de l’« AMP pour toutes les femmes » conduira à la légalisation de la gestation pour autrui (GPA), même si celle-ci fait l’objet, pour l’instant, d’une large réprobation éthique. En effet, la référence à l’égalité, indissociable de la dignité, s’applique tout autant aux femmes qu’aux hommes.
La profondeur d’un regard sur la personne en société : dignité et fraternité
Vers une démarche nouvelle en bioéthique
Considérer l’enfant comme le fruit de l’amour durable d’un homme et d’une femme n’est pas devenu une option ; cela reste la norme éthique fondamentale qui doit encore configurer cette forme première de l’hospitalité qu’est la procréation. Sans nier ses difficultés, le lien conjugal stable demeure le milieu optimal pour la procréation et l’accueil d’un enfant. En effet, ce lien offre la pleine capacité d’hospitalité et le plein respect de la dignité des personnes, enfants et adultes.
Ces réflexions éthiques sur l’AMP ne sont pas déconnectées des autres problématiques sociales et politiques. Les manières d’organiser les liens de la procréation humaine rejaillissent sur toutes les relations sociales et politiques. Le droit ne fait pas qu’arbitrer des conflits, il institue des relations entre les personnes. Ces relations façonnent leur identité et doivent structurer les exigences propres à la fraternité. L’éthique relie indissociablement la dignité, source de droits, et la fraternité, source de reconnaissance mutuelle et de devoirs qui nous engagent tous à participer à la vie sociale et politique. Par égard pour la dignité des personnes et de la procréation, le droit ne peut pas contribuer à la marchandisation et à l’instrumentalisation de la procréation. Cela serait gravement contraire aux valeurs essentielles pour la vie de l’humanité et pour les relations tissées entre les êtres humains : la dignité, la liberté, l’égalité, l’hospitalité et la fraternité.
Il importe plus que jamais d’aborder l’ensemble des questions d’éthique biomédicale dans le cadre plus large d’une réflexion écologique qui relie la préoccupation des personnes à celle de l’environnement. Nous pouvons résister collectivement à la fascination des techniques et du marché qui s’en empare, en cultivant l’attention au mystère de la personne et à sa transcendance. N’est-ce pas la perception intuitive de ce mystère qui, dans les yeux des parents regardant avec amour leur enfant, éveille la joie, la gratitude, la sollicitude et une sorte de respect sacré devant ce qui les dépasse ?
Cette qualité du regard est un appel pour tous. Sans elle, les débats de bioéthique risquent de se réduire à des discussions techniques et financières, qui ne parviennent pas à s’ancrer dans la profondeur du mystère de la personne et de sa dignité. Les défis éthiques actuels nous invitent tous de façon instante à cette forme de considération et de contemplation qui s’affinent aussi dans le dialogue. Nous plaidons donc à nouveau pour le dialogue grâce auquel chacun s’engage à servir une vérité qui le dépasse comme elle dépasse chacun des interlocuteurs.