Nous devenons un produit jetable.

Dr. Bertrand Galichon

Président

Centre Catholique des Médecins Français (CCMF)

Au de là de nos différences, nous sommes des hommes répondant au même principe essentiel d’humanité. Et c’est ce dernier qui est aujourd’hui mis en cause, mis sur la sellette. La jouissance des plus forts passe avant la fragilité ou les souffrances des plus faibles.

Trois exemples pour accréditer cette affirmation :

L’avortement de l’ultime réponse à un drame à celle d’un souhait,

L’acceptation par tous de l’exclusion sociale.

Et enfin « la chronique d’une mort annoncée » de la loi Léonetti avec le suicide assisté et l’euthanasie d’exception.

La naissance : une levée de rideau hésitante.

Toute entrée en scène fracassante est aujourd’hui de très mauvais goût. Il ne faut pas griller les étapes ! Au début de la vie, il faut déjà remplir des conditions très précises: être désiré, parfait et répondre à un rêve au risque d’être renvoyé dans les limbes.

Arriver à l’heure. « Avant l’heure, c’est pas l’heure » ! Et ce pour de multiples raisons que nous ne développerons pas aujourd’hui.

Etre sans tâche. La démocratisation des enquêtes « pangénomiques », des PMA et autres GPA fait que la sélection va être de plus en sévère et normalisée. Les recommandations de la Haute Autorité de Santé sur le dépistage de la trisomie 21, dénoncées par le CCMF, font qu’aujourd’hui l’enfant trisomique qui arrive à voir le jour est un oiseau rare. Les parents de ce canard boiteux ont de fortes chances d’être mis à l’index. A qui le prochain tour? Gare à celui dont la tête d’un chromosome sort du rang !

Répondre à un ou des désirs. Le sexe de ces petits anges est maintenant choisi ! A l’heure de la théorie du genre, je ne comprends pas pourquoi les parents désirent autant avoir un garçon. L’enfant peut aussi être voulu comme traitement d’un frère ou d’une sœur et sélectionné dans ce sens.

L’enfant accueilli est connu avant son premier cri. Il n’est plus « la surprise du chef » qui ouvre vers un autrement à créer. Je vous épargne une autre boîte de Pandore l’avortement post natal, à distinguer de l’euthanasie.

Obstacles de la vie, comme une course un dimanche à Auteuil.

Pendant cette course d’obstacle, je tombe pour une raison x ou y, divorce, maladie, chômage ou tout en même temps. Je ne suis plus adapté et ne suis plus en capacité de le redevenir. Je ne peux plus répondre à ma fonction « production – consommation ». Je sors des rangs ! Et me voilà en situation d’exclusion pour devenir SDF, aussi solitaire que les autres. Pourquoi ne suis-je plus un clochard ? Aurait-on peur d’appeler un chat un chat !? Suis-je si dérangeant que l’on ne puisse plus me nommer comme le « mal entendant », le « mal voyant » ou encore l’individu « à mobilité réduite »?

Je deviendrai donc un produit jetable traînant à terre, sous le niveau des hommes. Je vais finir par me fatiguer en voulant me tourner en permanence vers le haut pour capter un regard qui restera indifférent. Je vais sortir de votre monde et ne vais pas crier. Simplement, mes besoins ne sont plus les vôtres. Je suis sorti de votre temps qui court sans pouvoir marquer une pose. Le mien reste suspendu au goulot de ma bouteille ou à la pointe de mon aiguille au dessus d’un coin de trottoir. Et un jour, je n’aurai plus mal. Ma main, mon pied pourront avoir mal, mais pas moi. Je ne suis plus de votre monde. Mais vous continuerez à éviterer mon coin de trottoir pour ne pas croiser mon regard car malgré tout je reste un homme. Rassurez-vous, je vais être jeté et je suis biodégradable.

La fin : ne faites pas de bruit en fermant la porte.

Ayant rempli mon rôle de « producteur – consommateur », j’ai bien sauté les obstacles à Auteuil. Mais tous les plaisirs ont une fin et me voilà arrivé au terme de ma vie. Je dois partir sans trop déranger et sans trop traîner en route.

Mais les événements peuvent en décider autrement avec une fin de vie douloureuse, dépendante. Et la Loi Léonetti invite la famille, les soignants à mettre leurs pas en toute responsabilité dans ceux de celui qui s’en va? Il nous faut protéger (ne pas tuer) et ne pas nous acharner. Il nous faut accompagner en toute responsabilité donc en toute liberté cet être jusqu’aux portes du mystère de la mort sans en connaître ni la date, ni l’heure. Mais avec le suicide assisté, l’euthanasie passive, active d’exception ou non, il en va autrement. On va nous obliger à fixer l’heure de la fin. Nous devrons donc accepter d’être normés jusqu’au bout, parqués dans un temps et un espace limités.

Notre liberté, notre responsabilité, notre humanité peuvent-elles s’accomplir dans de telles contraintes ? Ne sont-elles pas condamnées à se ratatiner dans les limites de notre individu et donc à être jetables?

Pour vous, quelle est la définition d’un barbare ?