Je voudrai rapprocher deux événements qui n’ont rien à voir l’un avec l’autre mais qui se sont produits au même moment ou plus précisément dans le même mouvement. Il s’agit de la troisième révision de la loi Léonetti en moins de dix ans et de la énième remise en cause de la loi Veil. Il est tout d’abord significatif et important de noter que ces deux lois intéressent : l’une à notre naissance, notre arrivée dans la communauté humaine et l’autre à notre « départ », deux frontières dont nous voudrions avoir toute la maîtrise et réduire ainsi leur insupportable part de mystère.
Le même constat.
A coups de boutoir et de glissements imperceptibles, ces deux lois sont vidées de leurs sens premiers : la réponse à ces drames que la vie sait bien nous servir. Ainsi, nous voyons bien que la loi Léonetti, votée en 2005, avait pour objet de prévenir les risques d’acharnements thérapeutiques avec pour corollaire le développement des soins palliatifs. Elle devient aujourd’hui la loi Claeyes- Léonetti avec pour objet la gestion de la fin de vie avec l’introduction de la sédation profonde continue jusqu’au décès. Même si en première lecture, nous pourrions avoir le sentiment que les choses n’ont pas fondamentalement bougé, nous voyons bien tout de même que le terrain glisse. La loi Veil, en son temps (novembre 1974), voulait faire de l’avortement une réponse très encadrée, exceptionnelle à des situations humaines dramatiques avec une éducation sexuelle en amont, plus proactive de la population jeune en particulier dans une dynamique de médecine préventive. Aujourd’hui, notre société va en faire un moyen contraceptif en supprimant le délai de réflexion d’une semaine.
La même incurie.
Pourquoi dans les deux cas en sommes nous arrivés à ces choix réducteurs pour des réponses simplificatrices même simplistes ? Force est de constater que la loi Veil n’a pas réduit le nombre d’avortements en France. Nous sommes toujours à plus de 200.000 par an. L’éducation sexuelle n’a pas rempli sa mission malgré des dispositions législatives, réglementaires, financières favorables. De la même manière, en dix ans cette loi Léonetti a fait l’objet de trois révisions. Pour une raison simple, la fin de vie n’a pas été anticipée, accompagnée. La prise en charge des derniers temps d’une vie aléatoire et inégale. Les soins palliatifs ne font toujours l’objet que de deux heures de cours en onze ans d’études. Les réseaux de soins palliatifs qui permettraient à beaucoup plus d’entre nous de terminer leurs jours à domicile, se voient leurs financements rognés de façon drastique et arbitraire. Pour ces deux lois la même incurie, la même facilité à se limiter pour répondre au prétexte sans vouloir rechercher les causes premières, plus profondes. Dans les deux cas, nous n’avons pas voulu nous attacher aux pré-requis de ces deux lois à savoir une éducation, une responsabilisation des consciences. Faute d’avoir répondu à ces enjeux, tous ces drames banalisés ne viendront plus nous importuner ! A toute chose malheur est bon ! Oui mais les souffrances générées seront d’autant plus grandes car réduites au silence.
Pourquoi une telle démission ?
Vaste question, les termes de la réponse peuvent être retrouvés dans toutes les composantes de la vie de nos sociétés modernes, communicantes et civilisées.
J’ouvre une piste inspirée par François Cheng dans son livre « Entretiens » aux pages 68 et 69. Il nous rappelle à juste propos que nous sommes constitués de trois éléments qui rentrent en intime dialogue : notre corps qui « fait », notre esprit qui raisonne et notre âme qui résonne, rentre en résonnance. Cette âme aussi qui ne vit, ne trouve sens que dans un mouvement d’altérité, de médiation avec autrui.
La volonté de protocolisation, scientifiquement justifiée et juridiquement opposable, de nos pratiques accompagne comme un catalyseur ce triste mouvement qui ne tiendra plus compte du caractère unique de nos biographies respectives, nous isolant dans nos individualités. Sans cette altérité vivifiante, nos âmes vont se dessécher sur pieds.
Dans une prochaine chronique, l’examen des propositions faites dans la loi de santé de Madame Tourraine nous permettra d’avancer quelques pistes de réflexions supplémentaires.
Dr. Bertrand Galichon
Président du CCMF