Lettre du Roi Baudoin

 

« Monsieur le Premier Ministre,

 

Ces derniers mois, j’ai pu dire à de nombreux responsables politiques ma grande préoccupation concernant le projet de loi relatif à l’interruption de grossesse.

 

Ce texte vient maintenant d’être voté à la Chambre après l’avoir été au Sénat. Je regrette qu’un consensus n’ait pu être dégagé entre les principales formations politiques sur un sujet aussi fondamental.

 

Ce projet de loi soulève en moi un grave problème de conscience. Je crains en effet qu’il ne soit compris par une grande partie de la population comme une autorisation d’avorter durant les douze premières semaines après la conception.

 

J’ai de sérieuses appréhensions aussi concernant la disposition qui prévoit que l’avortement pourra être pratiqué au-delà des douze semaines si l’enfant à naître est atteint « d’une affection d’une particulière gravité et reconnue comme incurable au moment du diagnostic ». A-t-on songé comment un tel message serait perçu par les handicapés et leurs familles ? En résumé, je crains que ce projet n’entraîne une diminution sensible du respect de la vie de ceux qui sont les plus faibles. Vous comprendrez donc pourquoi je ne veux pas être associé à cette loi.

 

En signant ce projet de loi et en marquant ma qualité de troisième branche du Pouvoir législatif, mon accord avec ce projet, j’estime que j’assumerais inévitablement une certaine coresponsabilité. Cela, je ne puis le faire pour les motifs exprimés ci-dessus.

 

Je sais qu’en agissant de la sorte, je ne choisis pas une voie facile et que je risque de ne pas être compris par bon nombre de concitoyens. Mais c’est la seule voie qu’en conscience je puis suivre. A ceux qui s’étonneraient de ma décision, je demande : « Serait-il normal que je sois le seul citoyen belge à être forcé d’agir contre sa conscience dans un domaine essentiel ? La liberté de conscience vaut-elle pour tous sauf pour le Roi ? ».

 

Par contre, je comprends très bien qu’il ne serait pas acceptable que par ma décision, je bloque le fonctionnement de nos institutions démocratiques. C’est pourquoi j’invite le Gouvernement et le Parlement à trouver une solution juridique qui concilie le droit du Roi de ne pas être forcé d’agir contre sa conscience et la nécessité du bon fonctionnement de la démocratie parlementaire.

 

Je voudrais terminer cette lettre en soulignant deux points importants sur le plan humain. Mon objection de conscience n’implique de ma part aucun jugement des personnes qui sont en faveur du projet de loi. D’autre part, mon attitude ne signifie pas que je sois insensible à la situation très difficile et parfois dramatique à laquelle certaines femmes sont confrontées.

 

Monsieur le Premier Ministre, puis-je vous demander de faire part de cette lettre, à votre meilleure convenance, au Gouvernement et au Parlement ».