Grâce à tous ces drames sur-médiatisés, trois piliers fondateurs du bien commun sont ébranlés: une médecine défiée, un droit instrumentalisé et une théologie mutilée.
1-La médecine défiée.
La médecine ne peut pas juger de tout et répondre à tout. Elle n’est pas omnisciente ni omnipotente. Grâce à Dieu !… Nous pouvons avoir encore un espace de liberté. Elle se doit de proposer le raisonnable, l’humainement acceptable, de négocier avec nos inévitables ambivalences. Les soins palliatifs sont la figure la plus accomplie de son art. Ils s’imposent, à l’écoute ajustée des patients et de leurs familles quand la médecine arrive aux limites de son savoir. Cultivons les soins palliatifs et la réponse donnée à la fin d’une vie s’imposera avec cohérence et autorité. Commençons par le début : soignons, accompagnons, acceptons d’être émondés. Mais voilà avec Vincent Lambert, les soins palliatifs ont bien été engagés avec application. Malheureusement la famille et certains médecins s’engagent sur des interprétations sémiologiques contradictoires, sans issues et donc sans fin. Avec le Docteur Bonnemaison, la médecine se retrouve ces jours ci sur le banc des accusés au sens propre comme figuré. Ce type de transgression jette un trouble (pour le moins !) dans la relation médecin malade et suscite des positions extrêmes souvent à caractères militants. Mais avant de juger, laissons de côté tout prérequis partisan. Ecoutons les questions que posent ce médecin et son procès car elles se reposeront à l’avenir. Nous serons légions dans l’armée des quatrièmes ou cinquièmes âges !….
2-Le droit instrumentalisé et inopérant.
La loi ne dit pas tout. Elle montre elle aussi ses limites. Pour une raison bien simple, elle ne peut pas envisager toutes les situations et surtout l’exceptionnel comme l’affaire Vincent Lambert. Quel que soit l’angle par lequel vous preniez ce drame, nous n’avons pas de réponse juridique soulignant ainsi les limites de la loi. Vous avez dit : personne de confiance ! Confiance… mais ce mot a disparu dans cette affaire. Cette personne de confiance, la grande absente qui aurait pu dire l’homme en lieu et place de la loi, avec l’autorité d’une humanité ajustée. Mais la loi n’en donne toujours qu’une définition tronquée. On ne saura jamais qui pourrait être cette personne par défaut. Mère ou épouse ?… Autre impasse de l’exercice du droit : les dangers de la jurisprudence. Vouloir faire rentrer un malade dans l’histoire d’un autre alors que nos biographies sont toutes uniques, avec leur propre part d’indicible mystère. Si vous vous en souvenez, la première critique qui avait été faite sur la tentative de légiférer sur la fin de vie : enfermer l’homme dans une procédure à un moment si personnel et mystérieux qu’est la mort. Les raisons qui nous poussent à légiférer ne sont-elles pas le fruit de nos incompétences pour accompagner l’autre…Et enfin, la justice a le génie de créer de la procédure et encore de la procédure…Elle répond à notre non volonté de rechercher un compromis, ou de s’accorder sur un bien commun.
3-L’intelligence de la foi mutilée.
De quelle vie s’agit-il ? Vie biologique, vie de relation ou vie dans le Christ ? Que cela peut-il vouloir bien dire pour chacun d’entre nous ? Le débat est grave et l’émotionnel n’a pas sa place. Vincent Lambert et ses compagnons d’infortune ont peu faire de nos émotions !…Les tweet lapidaires ne sont pas à la gloire de leurs auteurs. Ils desservent la parole de l’Eglise et des catholiques d’ aujourd’hui la rendant inaudible… Notre foi est émondée. L’éthique c’est l’autre, c’est le regard que l’on porte sur cet autre qui n’est que l’image de nous-mêmes. Il s’agit donc de travailler une éthique dans le Christ. Nous devons nous méfier de toute religiosité instrumentalisée. Notre relation au Christ n’est pas une affaire de loi. La mort fait partie de la vie. Je dirai même plus, avec Bertrand Vergely dans « La tentation de l’homme dieu », l’absence de mort serait mortifère. Au nom de la vie, nous ne pouvons pas systématiquement dire non à la mort. Et si la mort était là pour accomplir cette vie, notre vie ! Les livres de Hans Kung ou du Père Ringlet viennent encore nous interroger plus avant avec plus ou moins de profondeur…Mais soyons des compagnons de route, des hommes debout jusqu’au bout !
Fallait-il s’obstiner à vouloir légiférer sur la « fin de vie » ? Cette forêt inextricable de points d’interrogations était attendue. Et de plus, nous n’avons pas commencé par le début. N’aurait-il pas mieux valu avant tout à nous attacher à développer les soins palliatifs pour les transformer en médecine palliative. Médecins infirmiers et autres soignants nous aurions été plus à hauteur d’homme et plus en mesure de répondre à l’essentiel. Mais voilà nous sommes législativement engagés !… Et la parodie de débat en deuxième lecture à l’Assemblée ne peut que nous inquiéter… 60 députés à mains levées… circulez, le spectacle est fini. Le jeu politique des acteurs a été le plus fort. Nous allons vers un « no where »….La preuve : la sédation continue, je le tue mais il reste vivant !…Qui voudra s’engager comme soignant en soins palliatifs ?…Nous avons inventé « l’euthanasie endormie » !… La charrue était avant les bœufs, elle s’est embourbée.
Dr. Bertrand Galichon
Président du CCMF (Membre de la FIAMC)