Témoignage sur accompagnement en fin de vie
Alors que la proposition de loi sur la fin de vie revient bientôt à l’Assemblée nationale, nous publions aujourd’hui un témoignage du Dr Vincent Massart, pneumologue à Rennes, tiré de sa longue expérience en soins palliatifs. Confronté à une demande explicite d’euthanasie de la part d’un patient, il a mis en œuvre les moyens nécessaires pour l’accompagner le plus dignement possible jusqu’à son décès.
C’est l’histoire d’un homme d’environ 70 ans, adressé par son médecin, qui arrive en unité de soins palliatifs. Il souffre d’un cancer terminal entrainant des douleurs insupportables que les traitements n’arrivent pas à soulager. Le patient vient à peine d’arriver dans le service de soins palliatifs et déjà il est « sur les charbons ardents ».
Première question de sa part, presque sans dire bonjour : « est-ce que vous avez vu mon dossier ? »
– « Bien sûr ».
Il ajoute : « est-ce que vous avez lu ma lettre ? »
-« Bien sûr ».
Cette lettre, je ne peux pas la manquer car elle est posée par-dessus le dossier, bien visible, de façon à obliger quiconque de la regarder avant d’ouvrir le dossier. Le patient y explique en une page dactylographiée et bien rédigée qu’il sait que sa vie est finie, et qu’il a fait pendant sa vie tout ce qu’il souhaitait faire. Il a eu une vie tout à fait satisfaisante, pleine de bonheur, et une certaine gloire. Il a écrit plusieurs livres sur l’éducation, le thème de toutes ses recherches. Il est très fier de sa vie. Il raconte surtout qu’il n’a pas besoin ni envie de vivre plus longtemps. Sa vie n’a désormais plus aucun sens. Il souhaite mourir au plus vite. Il ne veut pas se voir diminuer. Il ne veut pas être à la charge des autres, cela lui serait insupportable et humiliant. Il ne veut pas souffrir, et il souffre vraiment et sait ce que peut signifier « avoir mal ». Il remercie le médecin qui fera ce qu’il faut pour qu’il vive moins longtemps.
Une demande d’euthanasie
Il s’agit donc d’une demande claire d’euthanasie dactylographiée, signée, écrite par un patient qui a toutes ses capacités mentales, qui n’a aucune « restriction cognitive » sur le plan médical. Il a bien entendu et compris son diagnostic et son pronostic. Ce n’est pas une demande irréfléchie, bien au contraire. C’est aussi pour cette raison là qu’il nous a été adressé.
Dans ce type de situation, ma réponse commence souvent ainsi : « Il n’y a pas d’urgence immédiate. Commençons par faire connaissance, la seule chose qui m’importe dans l’instant est de savoir si vous souffrez, ici et maintenant ». Il s’agit de respecter la question, de signifier qu’elle a été entendue, mais surtout ne pas « monter en tension » entre nous sur ce thème, la question étant à peine posée. En soins palliatifs la question du temps est souvent essentielle.
Il me dit qu’il ne souffre pas. Je me permets d’insister : « je ne veux pas que vous souffriez. Je veux faire tout ce que je peux faire pour vous éviter de souffrir. » Je suis rassuré par sa réponse, je fais les prescriptions nécessaires, et je le quitte. Je lui dis à demain.
La prise en charge de la douleur
Le lendemain, je me suis bien préparé à cette rencontre quand j’entre dans la chambre. Mais la discussion part sur d’autres sujets : les douleurs, surtout et le traitement. Pendant quelques jours, nos relations vont se concentrer essentiellement sur les symptômes, ce qu’il ressent, les difficultés du quotidien. Assez rapidement d’ailleurs, les symptômes s’améliorent. Il ne réclame pratiquement plus d’antalgique supplémentaire. Je le trouve de plus en plus tonique, plus communiquant, moins angoissé. Il tient de plus en plus longtemps assis dans son fauteuil et parvient même à faire quelques pas dans la chambre avec de l’aide.
Environ une semaine après son arrivée, le patient réclame la présence de sa secrétaire. Il veut écrire un livre de plus, il veut lui dicter le texte de ce livre. Elle pourra noter le texte qui lui vient au jour le jour, progressivement, au fil de sa pensée. Parce que les douleurs ont été soulagées, le patient a repris son mode de pensée et de vie qui lui sont propres. Il a pu redevenir l’homme actif qu’il a toujours été. On est ainsi passée en quelques jours d’une souffrance intense avec un désir de mort à une vie comportant des désirs, et même un projet. On est passé du projet de mort à un projet de vie. Trois semaines après son entrée dans le service, le patient m’explique sa situation actuelle et me demande un peu de temps supplémentaire : « Docteur, puisque je suis en train de reprendre la rédaction d’un livre, pensez-vous possible de me donner un peu plus de temps ? » Il signifiait son désir de vivre un peu plus longtemps….
Vivant jusqu’au bout
Malheureusement (ou heureusement plutôt), ce ne sont pas les soignants qui commandent pour donner un temps de vie supplémentaire. C’est la maladie et le patient qui mènent un combat dont nous ne sommes que les témoins et les accompagnateurs. Son désir n’a pas empêché la maladie de gagner une fin du combat, et le patient est décédé peu de temps après.
Mais la maladie n’avait pas pris toute la vie et toute la place. La prise en charge ayant rendue la vie acceptable pour ce patient, malgré le diagnostic de fin de vie prochaine, nous n’avons pas eu l’impression de soigner un mourant, sauf les quelques derniers jours. Au contraire, nous avons pris en charge un patient pleinement vivant dans cette période de la fin de vie, et en restant du côté de la vie. Il n’a plus jamais fait allusion à cette lettre. Il n’a plus jamais demandé à mourir au plus vite.
A propos de l’auteur :
Dr Vincent Massart
Pneumologue, médecin en soins palliatifs à la Polyclinique Saint-Laurent (Rennes).