Bernard Ars, FEAMC Congress, Porto, October 2016
Totalitarisme techno-scientifique / Techno-scientific totalitarism / O totalitarismo tecno-científico
Summary / Résumé / Resumo
Qu’ils s’agissent des découvertes scientifiques, des développements technologiques et de leurs productions économiques, les techno-sciences dominent réellement la culture de notre société occidentale. Le terrain culturel est prêt pour un totalitarisme techno-scientifique, induisant l’idéologie transhumaniste, dont le caractère interpellant réside dans la rupture anthropologique qu’il provoque.
L’exposé comprendra trois parties:
- la première essaiera de définir ce mouvement hétérogène,
- la seconde en pointera six caractéristiques,
- la troisième partie développera trois idées à discuter, qui interrogent la Foi Catholique.
Text /Texte/ Texto
Qu’ils s’agissent des découvertes scientifiques, des développements technologiques et de leurs productions économiques, les technosciences dominent réellement la culture de notre société occidentale.
De plus, le monde actuel n’est pas en crise, comme nous l’entendons trop souvent. Il est en mutation: Mutation géopolitique: le monde n’est plus centré sur l’Europe;
Mutation économique: la globalisation ou la mondialisation; Mutation écologique: il devient impossible de déployer un projet de croissance infinie, à l’intérieur d’un monde fini; Révolution numérique – informatique; Révolution génétique: le pouvoir d’action directe sur les mécanismes de la vie; Révolution socio-philosophique: le relativisme ambiant et l’hyper-individualisme omniprésent.
Le terrain culturel est prêt pour un totalitarisme techno-scientifique, induisant l’idéologie transhumaniste, dont le caractère interpellant réside dans la rupture anthropologique qu’il provoque.
Mais, qu’est ce donc que ce “transhumanisme”? Mon exposé comprendra trois parties:
- la première essaiera de définir ce mouvement hétérogène,
- la seconde en pointera six caractéristiques;
- la troisième partie développera trois idées à discuter (qui interrogent la foi catholique).
Prémière partie:
Definition: Le transhumanisme est une mouvance, un movement cultural et philosophique rationaliste qui affirme qu’il est possible et souhaitable d’augmenter fondamentalement la condition humaine, par la science et la technologie;
autrement dit, d’améliorer, d’accroître et de dépasser les capacités humaines actuelles: physiques, psychiques, intellectuelles: cognitives et émotionnelles, considérées comme un stade transitoire d’un processus évolutif; ainsi que d’affranchir l’humain de son corps et de l’hybrider avec des robots.
L’homme robotisé, génétiquement modifié, l’homme augmenté, le transhumain, ne sont que l’actualisation du mythe d’Icare, dont l’issue est programmée: un crash meurtrier. La seule différence, c’est que nous sommes tous concernés, désormais.
Le transhumanisme est essentiellement une manière de penser à propos du futur, basée sur la premisse que l’espèce humaine dans sa forme actuelle, ne représente pas la fin de notre développement, mais une phase comparativement assez primitive.
L’étiquette «transhumaniste» rassemble une nébuleuse de personnalités et d’idées, où l’argumentation sérieuse voisine avec la fantaisie.
C’est un récit utopiste, construit à la fois de pratiques réelles et de spéculations, sur des technologies existantes, mais très ambigu où la science-fiction et les essais scientifiques fusionnent en une technoprophétie: devenir a-mortel, c.à d: allonger indéfiniment la vie, sans en faire disparaître le terme – et – faire advenir une nouvelle espèce trans-humaniste.
Le projet transhumaniste est dopé par la progression exponentielle de la connaissance dans les quatre domaines suivants: les nanotechnologies, l’informatique, la biologie moléculaire, ainsi que les neuro-sciences.
Au coeur du fantasme transhumaniste, réside l’enfermement de la raison dans le rationalisme, le refus de toute idée de transcendance.
La grande majorité des transhumanistes se présente comme agnostiques ou athées, laïques et libres-penseurs.
L’utopie transhumaniste ne réside pas dans l’imagination d’un monde parfait, mais dans la transformation de notre conception de la vie et de la condition humaine; elle essaie de nous convaincre de l’anormalité de notre condition actuelle; bref, elle réside dans notre conversion idéologique.
Même s’il est vrai que nombre de ses adeptes sont des chercheurs, des inventeurs et des entrepreneurs, le transhumanisme se positionne intégralement au plan de l’influence des idées et non de la recherche et du développement technoscientifique. Le transhumanisme, étant identifié à un «progrès» de l’épanouissement et du «bien-être», individuel, ses défenseurs se réfèrent à des technologies déjà existantes ou mettent leurs espoirs dans des programmes de recherches scientifiques portés par les universités ou, aux U.S.A., par la – NASA – recherche spatiale – ou la DASA – recherche militaire; et financés de millards de dollars, par la GAFA: Google, Amazon, Facebook et Apple; avec bien évidemment un «return» par la consommation; et un développement du consumérisme.
Le terme «homme augmenté» insiste sur le résultat. L’augmentation de l’humain est volontaire et prend la forme de l’hybridation. Le terme «hybride» porte sur le moyen. Le terme « transhumanisme» pose la question philosophique: ces changements techniques qui touchent l’homme à l’intime, sont ils libérants ou aliénants? transhumanisme et poshumanisme: est ce la même idéologie? Non.
Mais ils coexistent. Le posthumanisme technoscientifique prophétise l’avènement d’entités artificielles, surhumaines et nonhumaines, susceptibles de succéder à l’espèce «hom » et de poursuivre de façon autonome, leur propre évolution. L’idée du «posthumain» s’est développé dans le sillage de la cybernétique, de l’informatique, de la robotique, et de l’intelligence artificielle. L’usage du terme «posthumain» comme quasi synonyme de celui de «transhumain» acentue l’éventualité que l’amélioration continue de l’homme finisse par transformer celui-ci, à un point tel qu’il ne serait plus du tout identifiable comme «humain». Un usage plus classique du mot «posthumanisme» consiste à regrouper sous ce terme, un ensemble de critiques adressées aux humanismes traditionnels et modernes qui sont fondés sur une conception du sujet humain qui lui attribue une place tout à fait à part dans le cosmos. Les posthumanistes invitent: à dénoncer toutes les formes de discrimination – et – à élargir la communauté morale et politique, aux autres vivants qui méritent aussi le même respect.
Seconde partie. Six caracteristiques:
- Le transhumanisme dénonce le psecisme de l’humain. Il relativise la valeur exclusive accordée à l’être humain, en tant que membre d’une espèce biologique. La forme biologique propre à l’espèce humaine ne doit pas être sacralisée. Selon les transhumanistes, cette forme n’est pas immuable et n’a pas le monopole du respect et de la dignité. Ce qui sépare l’homme des autres vivants n’est pas une différence absolue, mais une question de degrés (de complexité et de propriétés). Le transhumanisme affirme que tous les êtres doués de sensibilité, éventuellement de conscience, pré-humains, non-humains (animaux) ou posthumains, ont droit à un statut moral respectueux de leur bien-être et épanouissement.
- Le transhumanisme afirme la notion de “personne”, au sens juridique du terme. Cette notion est définie par la présence de certains attributs: la sensibilité, la capacité de raisonner et de choisir, la conscience,… En accentuant la notion de «personne», il dénonce aussi les jugements de valeurs et les discriminations associées aux différences de race ou d’ethnie, de sexe et de genre.
Une des critiques adressées à l’humanisme moderne par les transhumanistes, est qu’il a privilégié la figure de l’homme mâle blanc occidental.
- Au coeur des valeurs transhumanistes, se trouve l’autonomie de la personne: autonomie parentale, des choix procréatifs, de modifier son corps, car la personne ne s’identifie pas à une morphologie particulière et contingente.
- Le transhumanisme est un materialisme qui évolue avec les technosciences, leurs instruments et leurs concepts opératoires.
- Les humanismes traditionnels, y compris l’humanisme moderne laïque, voient le progrès, d’abord ou exclusivement, en termes de transformations sociales, institutionnelles, d’organisation symbolique (éducation, morale, droit, culture, politique), sans modifications biophysiques des humains.
L’humanisme n’a pas l’ambition de modifier en profondeur, la nature humaine, en ses limites. Par contre, le transhumanisme est sans limites. a priori.
Il se caractérise par une volonté de lutte effective contre la finitude et contre la mort. Il voit le progrès comme une transformation de la nature humaine.
- La référence spéculative et narrative des humanismes, religieux ou non, est l’Histoire. L’histoire désigne la transformation des organismes et des relations entre les humains, ainsi que les modifications du milieu; mais n’affecte pas la nature biophysique de l’homme. La référence spéculative et narrative du transhumanisme est l’évolution. L’humain est en perpétuelle évolution. Le futur de l’humain ne dépendra plus de son passé. Il est possible d’intervenir volontairement pour orienter l’évolution.
Deux exemples: Il est actuellement possible de fabriquer un autre ADN humain, de donner 4 autres lettres, afin d’obtenir un « Homo Novus ». De plus, il est aussi possible de connecter le cerveau humain à des ordinateurs. L’ordinateur dirigera le futur de ce «transhumain». C’est l’intelligence artificielle.
Troisième partie:
Trois idées à discuter: l’eugénisme, la bioéthique et le statut de la mort.
- L’eugenisme. Selon le dictionnaire Robert, l’eugénisme est défini comme la science qui étudie et met en oeuvre, les moyens d’améliorer l’espèce humaine.
Selon les transhumanistes, l’eugénisme raciste du passé n’avait aucune base scientifique. Il niait l’égalité essentielle des personnes; il ne respectait pas l’autonomie des parents. C’était un eugénisme d’Etat.
L’eugénisme d’aujourd’hui, par contre, affirme: 1) la liberté individuelle et parentale, 2) l’égalité des personnes, ainsi que 3) le souci fondamental de corriger les inégalités contingentes.
Jusqu’ici, la justice redistributive procède à un rééquilibrage compensatoire des inégalités dues à la «loterie sociale», y compris la lutte contre les discriminations: sexe, genre, ethnie, race, religion…, sans pouvoir intervenir sur les inégalités causées par la «loterie naturelle »: santé, dons divers,…
La génétique devrait apporter la possibilité croissante de corriger les inégalités naturelles ellesmêmes, soit en les prévenant, c’est l’eugenisme negatif; soit par thérapie génique, c’est l’eugenisme positif.
Il s’agira, à l’avenir, de passer de la redistribution de ressources sociales, à la redistribution de ressources naturelles, bref: les gènes.
La question se pose: Peut-on, Doit-on intervenir au nom de la justice et de l’égalité des chances, dans la «loterie naturelle » ?
Qu’est ce qui s’oppose à l’intervention génétique dans le but d’améliorer l’égalité des chances, en corrigeant les handicaps et maladies d’abord – et – en améliorant l’égalité des individus, en ce qui concerne d’autres aspects à composante génique telles: la mémoire, l’humeur, l’intelligence; ensuite ?
Les transhumanistes répondent: des préjugés.
Premier préjugé : celui de la fatalité insurmontable. On peut changer des structures sociales! Mais, il n’est pas permis de corriger directement des inégalités innées. Or, maintenant, c’est possible, par thérapie génique! Dès lors, il faut une révolution conceptuelle ! Pourquoi? Parce que, dixit Buchanan, l’on passe de l’exigence «de la distribution de biens entre des personnes dont les identités sont fixées avant l’acte de distribution, à une distribution de gènes qui, pour une part, détermine les identités des personnes».
Second préjugé : celui de la nature humaine, sacrée «à l’image de Dieu, immuable comme une essence. L’immuabilité et l’universalité de la nature humaine sont un fondement du Droit. Les diverses interprétations de la nature humaine ont inspiré les théories éthico-politiques de la justice et leurs critiques, dont l’opposition libérale, trop égoiste; – socialiste, trop altruiste. Il faut dès lors repenser de fond en comble ces théories de la justice, afin de pouvoir aborder les possibilités de la génétique. Dès lors, il convient d’effectuer une conversion idéologique.
Troisième préjugé : celui de la différence entre «naturel» et «artificiel»: ce que l’on dit «naturel» est presque toujours en réalité le résultat de techniques traditionnelles, familières, devenues une seconde nature.
Quatrième préjugé celui de la distinction entre «thérapie» et «amélioration».
Pour les transhumanistes, c’est une base incertaine pour décider d’un point de vue moral, ce qu’il faut faire ou ne pas faire.
En outre, elle renvoie à des notions tout aussi problématiques: le « normal » et le « naturel».
Songeons à: la taille, la force physique, l’acuité visuelle, la mémoire, l’empathie, … De plus, ces notions évoluent selon les époques et les sociétés. Néanmoins, c’est peut-être ici que la conscience a besoin du plus haut discernement.
Actuellement, il existe trois catégories de technologies médicales, agissant sur le corps humain:
. celles qui réparent le corps humain, qui guérissent les pathologies, qui constituent une thérapie.
. celles qui cherchent à l’améliorer, l’augmenter,…
. celles qui le transforment assez radicalement. Les frontières entre ces catégories sont poreuses.
- Illustrons la porosité de la frontière entre «thérapie» et «amélioration», à partir de l’exemple de l’exosquelette robotisé. Il s’agit d’un système que l’on enfile, comme un vêtement, sur le corps d’une personne et qui est piloté par un ordinateur connecté à certains centres du cerveau.
Le cerveau envoie des signaux à l’ordinateur qui lui-même commande les mouvements de l’exosquelette. Celui-ci possède de multiples capteurs qui récoltent des informations essentiels au niveau de l’équilibre et de l’exécution des mouvements. Ces informations sont transmises vers l’ordinateur qui, à son tour, les transmet au cerveau.
Un tel système permet d’aider une personne handicapée à marcher ou d’assister des ouvriers dans la manipulation et le transport d’objet lourds. Ces technologies sont bénéfiques pour l ‘humanité. Mais cet exosquelette robotisé peut aussi être désiré pour le plaisir de décupler ses performances ou pour nuire. Certains être humains non handicapés, mais jugés imparfaits, pourraient être améliorés par des prothèses robotisées, couplées au cerveau, pour façonner – au gré des envies – un être nouveau.
Ceci n’est pas de la science-fiction. Les expériences sur les couplages et les interfaces cerveaumachine sont bien réelles et très importantes.
Autres possibilités:
Pourquoi ne pas inclure la perception des infrasons, dans les implants cochléaires? Pourquoi ne pas inclure la perception des infrarouges, dans les implants oculaires? Pourquoi ne pas re-programmer nos cellules vieillissantes, le vieillissement étant un déprogrammation cellulaire ?
- Illustrons à présent, la porosité entre «amélioration» et «transformation» par l’exemple du «body hacking», du piratage du corps. Il s’agit de modifier volontairement son propre corps, notamment en lui adjoignant des composants artificiels, dans le but de transformer son comportement naturel; de transformer en profondeur son corps, en en modifiant les formes, et en lui conférant des capacités perceptives nouvelles. Ici, nous saisions bien toute la différence entre:
une chirurgie réparatrice qui respecte l’unité du corps humain, au service du bien-être de la personne-et- des techniques qui visent uniquement à transformer radicalement l’être humain, en cyborg: cybernetic-organism; simplement parce que c’est possible ou pour assouvir un fantasme. «Je me modifie, donc je suis». Les body-hackers se définissent comme la branche active du transhumanisme.
Mentionnons brièvement qu’en parallèle à cette mouvance, qui s’oriente vers un homme transformé par des dispositifs technologiques, se développe un courant symétrique qui, partant des machines, tente de les faire approcher de plus en plus des caractéristiques attribuées à l’être humain.
Le transhumanisme est contemporain d’une sorte de «transmachinisme». C’est le paradoxe de notre temps qui rêve du dépassement de l’humain par un état où l’homme deviendrait une machine, et qui ne peut s’empêcher de vouloir que ses machines deviennent, dans le futur, à l’image de ce qu’il est lui-même aujourd’hui.
La Bioéthique. Aux U.S.A., les transhumanistes aiment s’inquiéter de la difficulté qu’ont les étudiants pauvres, d’obtenir des bourses leur permettant d’avoir accès à des traitements de renforcement du cerveau humain. C’est très astucieux!
D’abord, ils banalisent ainsi l’«augmentation» technologique de l’humain. Ensuite, débattre de la discrimination et de l’accessibilité, fait entrer les rêves transhumanistes, dans le registre des « revendications ». Ce qui escamote le débat bioéthique. De plus, cela permet au transhumanisme d’obtenir son brevet de démocratie. S’il est démocratiquement acceptable – ce qu’il devient en étant ni discriminatoire, ni élitiste, il entre dans le domaine des options individuelles et sort du débat éthique et sociétal. Rappelons que, dans les recherches techno-scientifiques, sur l’être humain, il y a actuellement, essentiellement, trois approches éthiques:
. l’approche libéral, dont le principe du «non-nuisance»en est le noyau.
. l’approche bio-conservatrice, pour qui le «donné naturel» est synonyme de “bien” et qui est menacé par la démesure de l’homme.
. l’approche transhumaniste, qui propose l’adhésion à un programme de modification technoscientifique de l’être humain. C’est l’humanisme des Lumières, plus les technologies.
Ce qui est en fait, en jeu,ici, c’est la nature et la condition humaines, ainsi que notre attitude à leurs égards.
Mais, contrairement à la philosophie des lumières qui pensait en terme d’humanité, le transhumanisme pense en terme d’individu. Il y a une perte du sentiment du continuum entre les individus.
Pour les bioconservateurs, cette attitude face à la nature et la condition humaines, doit être d’acceptation reconnaissante et humble d’un don, une attitude d’accueil aux aléas heureux et malheureux de la vie. Elle ne peut être une volonté de maîtrise, de contrôle et de transformation. Croire que nos talents et pouvoirs sont entièrement de notre fait, revient à mal comprendre notre place dans la création; à confondre notre rôle, avec celui de Dieu.
Pour les transhumanistes, la volonté de maîtrise n’est pas mauvaise en soi : on peut vouloir contrôler dans un but bénéfique.
Les produits de la maîtrise technique peuvent être utilisés de manière désintéressée. Inversément, l’acceptation, la soumission, l’humilité, ne sont pas des vertus nécessairement bonnes par elles-mêmes.
Toute technique, depuis l’aube de l’humanité, peut être vue comme augmentant ou améliorant des capacités humaines.
Dans cette dernière approche, il y a négation de l’humain; il ne s’agit plus de savoir comment promouvoir l’humain, mais de savoir s’il faut continuer ou non avec l’humain?
Dès lors, transgressons les 3 principales limites inhérentes à l’humanité, à savoir: le corps sexué, le temps compté et la mort inéluctable.
Selon les transhumanistes, les bioconservateurs cherchent à briser la continuité de la technique, à travers l’évolution et l’histoire humaine, en utilisant des oppositions telles que: naturel/artificiel, normal/anormal, thérapeutique/amélioratif, externe /interne,… Question: la bioéthique, telle qu’elle est actuellement conçue et pratiquée, procédurière, n’est elle pas dépassée?
En tant que humaniste chrétien,de même que l’enfant qui acquiert de la masse musculaire, apprend à s’abstenir de frapper les plus faibles, de même nous devons nous abstenir d’une toute puissance infantile, quand nous touchons à la nature de l’homme.
Tout en étant pour les progrès technoscientifiques, avec prudence et sagesse, au service des humains-ni technolâtrie!ni technophobie!-; n’avons nous pas à oeuvrer pour devenir simplement des “plus humains”, culturellement, solidairement, moralement et spirituellement; n’avons nous pas à accompagner l’homme vers ce qu’il est: un être de corps et d’âme, ouvert à l’expérience intérieure, confronté à l’énigme d’avoir à souffrir et à mourir, cherchant un sens a son histoire, fondamentalement fragile; ayant soif de projets et de symboles? L’humain n’ est il pas une réalité dynamique qui se construit, s’élabore, se transforme, mais avec des limites qu’il se reconnait, c’est ce qui le distingue de l’animal
- Le statut de la mort. L’a-mortalité est la prolongation, l’allongement indéfini de la vie, recherchée par les progrès technoscientifiques et notamment de la biologie cellulaire; sans en faire disparaître le terme. Devenir «a-mortel» est une des technoprophéties du transhumanisme. L’a-mortalité interpelle l’ envers de la mort qu’est la naissance, la natalité? Un genre humain qui vieillit et qui «ne meurt plus» n’envisage plus sa reproduction et ne laisse plus de place à son renouvellement.
. L’a-mortalité produit également une altération de notre solidarité intergénérationnelle.
. L’a-mortalité a aussi comme effet, le non-sens du projet de réalisation de soi.
Si ce que je suis et ce que je fais, ne dépend pas de moi, mais d’une programmation, quelle valeur cela-a-t-il? Se réaliser pleinement ne peut se concevoir que dans un faisceau de relations, ce qui suppose une imprévisibilité, une disponibilité, une gratuité. Et quant à l’enfant programmé, il ne sera jamais tel qu’on l’aurait voulu! Et que penser de l’enfant qui sera perçu comme mal programmé, mal conçu?
Dans un monde performant, non seulement en matière économique, mais aussi dans le développement de soi, de ses capacités, quelle place accorder à la compassion, au souci, au soin des plus fragiles?
Si tout est contrôlable, alors toute faiblesse, toute vulnérabilité sera perçue comme une erreur, un échec, au mieux un dysfonctionnement, dont l’individu sera rendu responsable. Mais dans ce cas, quelle « dépression» terrible, cette a -mortalité offre à l’espèce humaine! De fait, les technologies sécrètent des «sentiments dépressifs». Sans entrer dans le détail, pensons à l’exemple de Pitzorius.
L’amortalité transforme le statut de la mort qui, de destinée, devient une défaite. «Avons nous besoin de la mort pour être des vivants?» disent les transhumanistes. Dans ce cas, la mort n’est ni un destin à assumer, ni une épreuve à surmonter, ni une illusion à traverser, mais une erreur à rectifier. Faire l’impasse sur la réalité naturelle de la mort, l’ignorer, ou vouloir l’expulser du champ vital dans lequel elle s’inscrit, revient en fait à priver l’homme du moment le plus essentiel de son existence; de ce moment précieux entre tous, où, en s’acceptant mortel, il relève avec force sa condition humaine.
«L’homme n’est ni ange, ni bête, disait Pascal, et qui veut faire l’ange, fait la bête». A vouloir devenir surhumain, en faisant semblant de croire qu’il pourrait congédier la mort, l’homme se déshumanise.
La société contemporaine ne connaît- elle pas un drame réel, celui de cette «déshumanisation de la mort »,progressivement produite par:sa collectivisation, sa médicalisation, son éviction par le transhumanisme; et sa banalisation par les techniques audio-visuelles ?
En désirant supprimer la fragilité, nous supprimons les personnes fragiles. L’être humain est «fragile» et vulnérable, blessé par sa fragilité. Mais grâce ou à cause de sa vulnérabilité, il est poreux, troué comme une éponge, et il peut vivre une expérience positive, se rendre accessible à l’autre dans une réciprocité.
Outre le fait que le transhumanisme soit une illusion d’humanisme puisqu’il passe à côté de ce qui fait l’humanité de l’homme, les chrétiens doivent se laisser interroger par lui pour une raison directement spirituelle, voire théologique: la pré-emption du Salut par la technologie.
Au fond, le transhumanisme est une utopie matérialiste qui résout par la seule puissance de l’homme, les questions essentielles de l’humain – sa fragilité ontologique, son incarnation, sa transformation, sa mort, son salut.
Alors que le christianisme les traite en considérant l’humain comme recevant sa vie de Dieu, étant un corps habité par l’Esprit Saint, sauvé par la Grâce et appelé à entrer dans le mystère de la résurrection de la chair; le transhumanisme, lui, s’affranchit de l’unité entre le corps et l’âme, compte sur la technologie pour atteindre l’immortalité, fait reposer la transformation de l’homme exclusivement sur son intelligence, sans recours à l’action divine.
Le transhumanisme promet la mort de la mort, et la mort de l’inhumanité, grâce aux manipulations génétiques et aux implants-robots. Face à ce défi idéologique, que faire? Ainsi qu’il y a, face à la culture de la mort, une culture de la vie; face à la culture du transhumain, du non-humain, développons une culture de l’humain, du plushumain,c.à d.: – une vision anthropologique, de l’homme incarné, où la «fragilité» a toute sa place et sa résonance;
- une spiritualité qui initie à une véritable vie intérieure;
- une éthique qui valorise les vertus; ainsi que
- une éducation culturelle favorisant la croissance qualitative de l’homme et de la société.
En conclusion, disons, avec Bertrand Vergely, que: notre monde est dominé par la logique de l’homme sans limite, de l’homme-Dieu.
Cette logique est tellement bien orchestrée par des lobbies politico-médiatiques qu’il n’est pas pensable qu’elle s’arrête demain.