Docteur Béatrix PAILLOT
Praticien hospitalier – Consultation mémoire et gériatrie
Centre hospitalier de saint Germain en Laye
20 rue Armagis
78105 Saint Germain en Laye
22 février 2013
Au Conseil National de l’Ordre des Médecins
Mes chers confrères,
En tant que médecin à jour de ma cotisation à l’ordre, je voudrai vous faire part de ma surprise devant le texte adopté par le CNOM en date du 9 février 2013 sur le thème « Fin de vie, assistance à mourir ».
Pour moi, sauf erreur de ma part, ce texte contredit l’éthique médicale à laquelle nous nous sommes engagés :
- en prêtant publiquement serment à l’issue de notre soutenance de thèse que nous ne donnerions jamais la mort délibérément,
- et en signant l’engagement moral de fidélité au code de déontologie médicale qui stipule que le médecin n’a pas le droit de donner intentionnellement la mort (article 38).
En effet, si je me réjouis de vous voir rappeler cet engagement : « L’interdit fondamental de donner délibérément la mort à autrui, au mépris de toutes les considérations précédemment exposées, ne saurait être transgressé par un médecin agissant seul », le texte laisse entendre par ailleurs que le médecin pourrait y accéder dès lors qu’il aurait fait l’objet d’une demande réitérée du malade et qu’un avis collégial favorable aurait été donné.
Par conséquent le texte se contredit lui-même. Si pratiquer un homicide volontaire est un crime qu’aucune loi ne peut prétendre légitimer, cette loi s’applique que l’on prenne la décision seul ou à plusieurs. Sur le plan moral, les circonstances peuvent peut-être atténuer la gravité de l’acte, mais ne pourront jamais faire que cet acte devienne légitime. On peut même dire que la mise à mort d’un être innocent est plus grave lorsqu’elle est décidé froidement à plusieurs que lorsqu’elle est décidée tout seul sous l’emprise d’une souffrance qui donne l’impression qu’il n’y a pas d’autres possibilités.
Par ailleurs, les modalités de l’acte sont ainsi présentées : « Une sédation, adaptée, profonde et terminale délivrée dans le respect de la dignité pourrait être envisagée ». Pourquoi une sédation à dose létale dans le but de provoquer la mort ? Il est si simple d’endormir un malade gravement souffrant difficilement soulageable avec des sédatifs à doses simplement sédatives…
Il est précisé que ce serait « par devoir d’humanité ». Est-ce de l’humanité de dire à quelqu’un : « vous avez raison, votre vie n’a plus de sens, vous faites bien de demander la mort » ? C’est tuer d’abord symboliquement la personne, avant de passer à l’acte de mort proprement dit. C’est un double homicide volontaire. L’humanité ne passe-t-elle pas au contraire par une autre voie, celle de dire au malade : « Je comprends votre souffrance et votre découragement. Nous allons tout faire pour vous soulager. Et s’il le faut nous vous endormirons pendant 24h pour passer ce cap difficile. Nous vous laisserons vous réveiller pendant 1 heure et si cela ne va pas bien, nous vous endormirons à nouveau pour 24h. Et ainsi de suite chaque jour, autant de jours que nécessaire, mais nous ne provoquerons pas votre mort par des doses volontairement excessives. Depuis Hippocrate, c’est contraire à notre éthique médicale et nous nous y sommes engagés par serment par humanité envers vous. En effet, si vous voulez interrompre cet endormissement vous le pourrez quand vous le voudrez. La dépression donne le désir de mourir, mais souvent le moral s’améliore après quelques jours de sommeil et on se met généralement à voir les choses différemment ».
S’il n’y avait pas d’autre possibilité de soulagement, on pourrait peut-être mieux comprendre l’euthanasie… Mais quand il y a une autre voie plus respectueuse des personnes, cette position apparait d’autant plus injuste et immorale.
Il est surprenant de voir que le Conseil National de l’Ordre des Médecins dont la mission est de veiller à l’éthique médicale et qui a toujours tenu avec fermeté ce point depuis sa création en 1945, prenne cette décision l’année même où la majorité présidentielle décide de légiférer dans ce sens.
Le Conseil National de l’Ordre des Médecins serait-il manipulé par le pouvoir politique ?
Pourtant c’est l’éthique qui a pour but d’éclairer les choix politiques et non le contraire ! Par conséquent l’éthique n’a pas à se plier aux dictats de la politique du moment…
A la lumière de ces différents éléments, je demande au Conseil National de l’Ordre des Médecins un démenti de l’avis qu’il a donné le 9 février 2013 sur cette question.
En attendant de vous le meilleur, mes chers confrères, je vous assure de ma considération. Mon estime sera cependant d’autant plus grande à votre égard que vous nous serez capables de faire preuve du courage de la vérité comme vous nous y engagez vous-mêmes par cette parole d’Alfred Sauvy inscrite en préambule de l’histoire de l’ordre national des médecins français sur votre site :
« Personne n’ose chercher la vérité. Ceux qui cependant la cherchent n’osent la trouver. Ceux qui cependant la trouvent n’osent pas la dire. Ceux qui la disent ne sont pas écoutés ».
Je rajouterai simplement :
« Et ceux qui l’écoutent seront libres ».
Docteur Béatrix Paillot
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