La dignité avait rendez-vous Fontaine des Saints Innocents.

Chaque époque a son « appel ». Samedi 18 juin 2016, à deux pas des Halles, en plein cœur de Paris, le « Collectif les Morts de la Rue » nous invitait à venir rendre hommage à toutes ces « ombres » de nos villes.  L’année dernière, cette cérémonie avait eu lieu Place de la République. Précédemment, nous avions été invités à Stalingrad autre grand lieu d’errance pour tous ces êtres humains qui n’ont pour abris que les réverbères de nos trottoirs. Il est essentiel  que cette œuvre de mémoire soit exprimée sur les lieux mêmes de cette souffrance, de toutes ces vies. Nous nous sommes recueillis pour 497 de tous ces hommes, ces femmes et ces enfants morts dans la rue l’année précédente. Il nous était demandé aussi de rendre hommage aux 2000 autres non cités, oubliés et dont la mort est passée totalement inaperçue, les pauvres parmi les pauvres… La rue tue à 49 ans !…

Nous étions peu nombreux ce samedi matin, Place des Saints Innocents, pour faire mémoire, vouloir témoigner de la dignité de ces hommes, ces femmes et ces enfants. A l’invitation du Collectif, des SDF frères d’infortune, des passants, des touristes se sont arrêtés, ont écouté, ont questionné, ont accroché une rose à un nom, ont pu lire cette litanie des laissés pour compte. Peu importe le nombre, la densité du silence, le poids de la mémoire, l’essentiel de la dignité étaient présents, parfaitement palpables.

Sur cette place, au cœur de la ville, préservée du bruit, sous les arbres entre lesquels une ficelle bleue, comme celle utilisée pour les moissons, portait les noms ou l’anonymat de tous ces êtres avec seule date celle de leur mort. Les membres du collectif nous invitaient à accrocher une rose à un nom. Tous ces disparus devant les lesquels nous étions passés sans les voir car couleur du macadam, reprenaient corps dans ces deux cercueils fleuris, marqués de tous leurs noms.

Avant de lire une partie de cette longue et incomplète litanie des morts de la rue, les lecteurs étaient invités à dire deux mots, le pourquoi de leur présence. Plusieurs SDF sont venus dire leur solidarité avec tous ces « copains » de la rue. B… nous a dit simplement sa crainte d’être à 30 ans le prochain à « passer à la casserole » après tant d’années dehors… Cette femme parisienne est venue rendre hommage à Abdallah. Durant des années Abdallah habitait place Gambetta près de chez elle. Un jour, Abdallah et son sourire n’étaient plus là… Qu’est devenu Abdallah ?… Abdallah est mort… Et la Place Gambetta n’est plus la même… Toutes ces ombres de la ville habitent nos vies malgré nous. Elles nous rappellent que nous sommes tout aussi fragiles, précaires. La disparition de ces hommes, de ces femmes nous fait ouvrir les yeux sur leur monde qui est aussi le nôtre. Regardons-les avant qu’il ne soit trop tard…Notre dignité ne se joue-t-elle pas à ce niveau ?…

Ce rendez-vous annuel du « Collectif des Morts de la Rue »  est un symbole aussi lourd que cette goutte si essentielle à l’océan comme nous le rappelait Mère Teresa. Soyons certains, témoignons que Place des Saints Innocents, la laïcité a pris toute sa dimension. Une seule chapelle, celle de la volonté d’être ajusté à l’autre…

« Collectif les morts de la rue », 72 rue Orfila, 75020 Paris ; 01 42 45 08 01 ; mailto:mortsdelarue@wanadoo.fr

Dr Bertrand Galichon

Président du CCMF (Médecins Catholiques Français)